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Deux tempêtes étaient survenues à la mi-mars, provenant de l’est, le pays de la pluie ; toute vision avait été obscurcie à vingt pas comme par de mouvants et d’immenses rideaux composés de gros flocons de neige laineux, de tampons d’ouate d’un blanc mat, à peine reliés entre eux, drus, dont l’abondance diffusait une lumière de lait. Ces bordées avaient étendu sur le pays deux couches sans consistance et sans poids.

Vers une heure, François partit en raquettes avec Koïncha. Ils enfonçaient. Leurs pistes profondes s’éloignaient côte à côte vers l’orée de la forêt. Alors Pierre, Jacques et Paul sortirent de la maison. Plongeant jusqu’aux genoux dans les congères ils se dirigèrent vers les amas de billes qu’indiquaient seuls des renflements moelleux. Là reposaient, tronçonnés en billots, des arbres d’un seul brin dont les flexures empêchaient l’utilisation, des tiges branchues et autre bois en grume.

Soleil et neige étincelaient. Pas de vent. Les hommes se dépouillèrent de leurs pelisses de fourrures ; les manches de haches se réchauffèrent tout de suite entre leurs mains. Ils élevaient celles-ci au-dessus de la tête, ils les rabattaient en imprimant juste au bon moment un petit coup de côté ; l’outil pénétrait dans l’aubier gelé, une billette se détachait et, tombant à côté, semblait s’enfoncer dans des épaisseurs de laine molle.

Car le temps était venu de préparer la provision de bois de chauffage de l’hiver suivant. Bien cordés dans le bûcher, les quartiers sécheraient durant le printemps, l’automne et l’été ; à l’hiver, ils dégageraient beaucoup de chaleur au lieu de saliver. Les coutres se levaient et s’abaissaient. Parfois, ils rencontraient un nœud plongeant jusqu’au duramen et alors ils devaient frapper à plusieurs reprises. Certaines essences se fendaient