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qui s’approchait mais s’effrayait de son approche ; il distinguait les yeux purs qui cherchaient une brèche par où pénétrer vers lui, qui craignaient ses yeux à lui, rudes, impénétrables ; qui épiaient sur ses lèvres l’amorce d’un sourire, sur ses traits la détente d’un peu de bonté, qui espéraient que l’étau de cette mâchoire se desserrerait. Il observait, mais il continuait à fumer le calumet de grès rouge.

Sébastienne partie, Ysabau demanda : —

— Pourquoi es-tu si dur pour elle, François ?

— Moi ? interrogea-t-il. Mais il ne répondit rien d’autre.

— Tous ces malheurs ne vous ont pas amolli, ton père et toi ; ils vous ont endurci au contraire. J’ai l’idée parfois que je pourrais frapper à grands coups de marteau sur vos mains, sur vos bras, comme sur une enclume : vous ne sentiriez rien, vous ne vous plaindriez pas ; vous ne pliez pas, vous ne vous brisez pas. Vous êtes des hommes en fer.

Une fois seul, François déposa son mousquet sur la table. Il s’assit en face. Comment presser la gâchette avec cet annulaire privé de sa première jointure, le doigt le plus complet de sa main droite ? Il épaulait : l’arme demeurait instable, le canon déviait. Il tentait d’assouplir ses muscles, de raffermir sa prise. Soudain, il échappa l’arme dont la chute retentit sur le parquet de bois. Il l’accrocha à un clou enfoncé dans le lambris. Il marchait dans la pièce, préoccupé, les yeux sans expression ; il cherchait. Il décrocha l’arme de nouveau ; il l’épaula à gauche. Puis il réfléchissait. Soudain, Ysabau ouvrit la porte : —

— François, dit-elle… Oh ! mon Dieu.

Elle avait aperçu l’arme ; elle se tut. Et François s’accouda sur la table, la tête dans les mains.