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les opiniâtres

Mi-français, mi-algonquin, son langage se pénétrait de douceur. Elle s’éloigna la première avec le canot, les quelques épis de blé d’Inde, la pagaie. Elle revint tout de suite. François se traînait sur les coudes et sur les genoux. Koïncha aperçut alors les doigts brûlés jusqu’à la troisième jointure, les mains fendues jusqu’au poignet, les larges brûlures des épaules, les doigts de pieds dépourvus d’ongles, les pieds transpercés, les ecchymoses des bastonnades répétées, le gonflement des abcès sous l’accumulation du pus. Chaque mouvement coûtait au jeune homme des douleurs lancinantes, mais François ne pleurait, ni ne criait. Les yeux fixes, sans expression, les maxillaires rivées l’une à l’autre, il rampait avec précaution.

Koïncha s’étendit à plat ventre sur la terre. Elle dit : « Glisse-toi sur mon dos ». Et lorsqu’il eut noué ses bras autour du cou court dont la peau pendait en fanons sillonnés de grosses rides comme ceux des bêtes, Koïncha se redressa à grands efforts, s’aidant de pierres et de branches d’arbres. Et le corps ployé sous ce faix, elle marchait à petits pas pénibles sur le sol inégal, soufflant ainsi qu’un animal rendu.

Enfin le lac Ontario s’étendit, étincelant, au large de la côte. Un fort vent d’ouest courait dans la claire journée d’automne, soulevant des vagues courtes. Ici, le canot ne serait plus porté par le courant ; il perdrait son avance.

— François, François…

Il ouvrit les yeux et Koïncha lui expliqua. Il observa autour de lui. Obéissant à l’ordre donné, Koïncha pagaya droit vers la pleine mer, la proue fendant les lames dont le choc contrariait l’élan de l’aviron. L’esquif n’avançait presque plus. Mais Koïncha persévérait pendant que François s’affairait à l’avant, sous la pince, la sueur des souffrances et de la fatigue ruisselant sur sa figure.

— Les voilà, cria-t-elle soudain.