Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
les opiniâtres

ne, grosse et grande femme solide ; celle-ci étouffait de sanglots ; Prudent pleurait silencieusement, à de longs intervalles, et ses larmes glissaient sur sa barbe grise, sans la mouiller. À l’écart, pâle, silencieuse, Ysabau surveillait la scène ; pendant que François demandait des renseignements de sa voix froide et les écoutait ensuite, elle murmurait continuellement en elle-même : « N’y va pas, François, n’y va pas ». Mais ces mots qu’elle pensait, elle ne pouvait les prononcer. Ne lui demandait-on pas son fils en rançon de cette fillette ? Tous n’exagéraient-ils pas les pouvoirs de François ? Si celui-ci s’engageait dans cette folle aventure, il courrait risque de mort. Comment délivrer personne au milieu d’une trentaine d’ennemis ?

Enfin, la maison se vida. François réfléchissait devant la fenêtre ouverte sur le fleuve ; il sortit dans le soir prématuré, couvert de nuages violets ; il causa longuement avec Koïncha. Il revint s’asseoir. Pierre et Ysabau le guettaient. Une tension régnait dans le silence. Flegmatique, énigmatique, François ne parlait, ni ne bougeait ; la figure impassible, il fumait sa pipe. Ysolde s’était posée sur un tabouret, et les deux bras sur les genoux de Pierre, la tête appuyée, elle sommeillait. Parfois François caressait de la main les cheveux bouclés. Mais il avait l’impression que seul son mutisme tenait toute la famille en respect ; que le premier mot ouvrirait les écluses des raisonnements, des pleurs, des sanglots. Il ne parla pas.

À l’heure habituelle, il monta en compagnie des autres dans les chambres du premier. Ysabau l’examinait douloureusement pendant qu’il gravissait les marches, sans un regard pour elle ou pour personne ; elle laissa ouverte la porte de sa chambre afin d’entendre le moindre bruit dans la maison

Quand elle s’éveilla le lendemain, François était parti.