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les opiniâtres

par terre en face de la vieille Algonquine. Chacun fumait sa pipe ; à de longs intervalles, chacun prononçait quelques phrases, la figure grave, sans jamais plaisanter.

Après le souper, Koïncha gagna la forêt à pas lourds dans l’éblouissement doré du soleil. Plus tard François sauta dans son canot et il se perdit parmi la nuit du fleuve. Il suivait la ligne de l’obscurité, le long du rivage boisé ; il glissait dans une ouate de silence. Le jeune homme dépassa le fort, il s’enfonça dans les espaces non protégés ; il pagayait toujours de la même allure régulière, monotone, l’oreille aux écoutes, les yeux en alerte. Vers trois heures du matin, il traversa le fleuve, se laissa porter par le courant. Il passait dans l’ombre de la rive droite tandis que la surface de l’eau, à sa gauche, rosissait sous les premières lueurs de l’aube. Et soudain, juste à l’endroit qu’il avait prévu, il distingua une pirogue d’écorce d’orme tirée sur la grève ; il aperçut les filets de fumée minces comme des tiges de mil qui poussaient sur des tisons presque éteints. L’ennemi dormait. Plus loin, François prit avantage de quelques arbres échoués sur la grève pour pénétrer dans la forêt sans laisser de traces : le canot à bout de bras au-dessus de sa tête, il marchait en équilibriste sur le tronc pourri, entre les branches. Il observa les mouvements des Iroquois. Vers sept heures, il voulut partir pour avertir la garnison du poste mais il se rejeta aussitôt dans le hallier : deux nouvelles pirogues paraissaient en aval. François ne pouvait plus partir.

Montées d’une trentaine d’ennemis, les trois embarcations se rejoignirent. Elles descendirent le fleuve après l’avoir traversé, puis disparurent dans le lointain ; mais des guerriers observaient sans doute, postés sur les pointes. Le jour devint plus gris, et sur la fin de l’après-midi, il pleuvait.

Alors François longea de nouveau la rive droite. Il traversa le fleuve en face du poste ; deux Français