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Iroquois en levaient chez les Français ; d’année en année montait le chiffre des victimes.

Pierre repousserait-il toujours la seule solution que la raison soumettait : repasser en France, y établir sa famille pendant qu’il possédait assez de force ? Demeurerait-il dans l’attente toute sa vie ? Il ajournait sa décision. Une persistance obscure des instincts, des aptitudes, des goûts continuait à vouloir pour lui-même et ses enfants les amples domaines de la Nouvelle-France, une spacieuse existence à la taille du continent, une activité profitable et saine, la largeur des horizons. Il souffrirait toujours de sa déception s’il abandonnait un idéal né de sa nature même en contact avec le milieu.

Alors, parmi ses angoisses au sujet de François, Ysabau devait se retourner vers Pierre et le tirer des griffes de ses malsaines rêveries. « Je ne suffis pas », pensait-elle parfois. Elle invitait les officiers de la garnison ; Yseult et Ysolde l’assistaient ; mais elle tombait dans la quiétude lorsque Pierre Boucher s’assoyait simplement à leur foyer comme ce soir. Ces deux-là, qui ne prévoyait d’avance leurs devis ?

— Cela ne peut pas durer, dirait Pierre de Rencontre.

— Cela ne peut pas durer, répondrait Pierre Boucher.

Ils aviseraient aux moyens. À tour de rôle, comme des joailliers, ils examineraient à la loupe, sous toutes ses facettes, l’idée qui avait toujours hanté la colonie : écarter tout intermédiaire et porter directement le problème devant le Roi ; lui expliquer en personne la nature de ces guerres ; lui décrire le pays et implorer l’assistance militaire suffisante.

Lourd, avec son physique d’homme solide qui n’a jamais connu la maladie, Pierre Boucher pensait lentement, mais avec une étrange souplesse ; il ressemblait au bûcheron en forêt, habile à distin-