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les opiniâtres

Pierre reposait en face de la fenêtre. Effilés comme des cierges, les longs glaçons pendant du toit se prolongeaient vis-à-vis des vitres ; de temps à autre coulait une goutte d’eau rutilante comme une larme de soleil. Pas de vent. Et l’épais manteau neigeux se dégonflait et s’affaissait chaque jour.

Pierre continuait sa longue convalescence. Les notables du fort lui rendaient visite à tour de rôle. Cet après-midi se présenta le sergent Pierrotin, un gros homme corpulent, des fibrilles bleues formant réseau sur ses joues couperosées. Il dit :

— Aucun détachement n’arrivera cette année ; dernières nouvelles, la Fronde durait encore.

— Non. Nous ne recevrons pas d’assistance.

— Tiendrons-nous tout l’été ?

— Il le faut. Oui, nous tiendrons, répliquait Pierre.

— La garnison ne compte pas cinquante soldats, répliquait le sergent. Des rumeurs graves se colportent : dans quelques semaines, cinq à six cents Iroquois, peut-être plus, nous assiégeront. Ils sont mieux armés que nous.

— Nous possédons les pierriers.

— Oui, les fameux pierriers ; l’un d’eux éclate chaque fois que nous envoyons une bordée.

— Les fortifications sont suffisantes ; puis les Iroquois ne savent pas pousser un siège.

— Mais d’autre part, ils peuvent maintenant concentrer toutes leurs forces contre nous.

Dans la pénombre de la pièce qui se vidait lentement de soleil, la conversation se poursuivait, dure et rapide comme un jeu d’escrime. Pierre ne distinguait bien que les yeux du sergent, prudents, froids, rusés qui observaient la scène comme s’ils appartenaient à un autre homme.