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de la conclusion de la paix. Que la guerre éclate demain et de nouveau les missions de Huronie sont coupées de leur base ; Algonquins et Montagnais sont anéantis par petits groupes ; colons et soldats sont scalpés autour des forts ; et l’arrivage des pelleteries cesse. La Nouvelle-France s’effondre dans les désastres. Alors tous se cramponnent aveuglément à la paix ; contre tout espoir humain, on tente de la prolonger en députant le père Jogues pour adoucir les Iroquois, les détourner de leur dessein. Tiens, observe-le dans ce moment ; il ne distingue plus personne autour de lui : la torture et la mort, il doit les envisager une seconde fois. Quoi qu’en pensent les autres, je ne crois pas qu’il ait de doute lui-même sur le sort qui l’attend. Je lui ai dit : « Expliquez-leur, à vos supérieurs » ; il a souri. Pour lui cette initiative ne se concevait même pas. Et que n’espère-t-il pas du point de vue spirituel ?

Autour du missionnaire, la discussion assourdissante se poursuivait. En Nouvelle-France, les mêmes sujets revenaient toujours dans la conversation : chances de guerre et de paix ; état de la colonie ; insuffisance des forces militaires ; lenteur du peuplement.

Le père Jogues parlait maintenant dans l’affliction :

— Le plus dur, le voici : notre apparition dans un peuple concorde toujours avec l’éclosion des épidémies. Nous leur communiquons nos maladies qu’ils ne connaissaient pas ; nous nous présentons avec ce cadeau dans les mains. Cette coïncidence doit contenir une explication naturelle, mais nous l’ignorons. Alors les Sauvages lèvent les poings contre nous, ils nous attribuent un pouvoir maléfique.

Pierre écoutait tous ces avis. L’image de la Nouvelle-France lui apparaissait sous forme de chaos. Quand donc un esprit puissant pétrirait-il cette vaste entreprise pour l’organiser, l’ordonner,