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De l’intérieur de la cabane, Pierre observa le temps. « Une autre journée de froid, pensa-t-il ; la chaleur ne viendra-t-elle donc jamais ? » Un peu plus tard, il sortit. Dès les premiers pas, il s’arrêta, stupéfait : ses pieds s’étaient enfoncés dans la neige comme en une blanche pâte élastique ; d’une douceur imprévue, oubliée, l’air caressait son visage et ses mains. Alors il rouvrit la porte joyeusement : « Ysabau, Ysabau, c’est le printemps ». Un bon moment, ils demeurèrent immobiles, enveloppés de cette couche épaisse d’atmosphère qui, durant la nuit, avait glissé vers le nord et couvert le pays de ses pâles tiédeurs. Sur la pointe extrême d’un pin, surprise elle aussi, une corneille s’égosillait : « Ah ! ah ! ah ! » ; et la tête de l’arbre ployait à chaque exclamation.

Alors, en peu de jours, l’eau naquit, scintilla, chanta dans toute la Nouvelle-France. Au loin ruisselaient les montagnes ; plaines, plateaux, vallons et combes débondaient ; ravines, coulées, ruisseaux, dégorgeaient ; rivières et lacs s’enflaient. Et sale, colorée en brun, en jaune, par tous les affluents qui drainaient un territoire vaste comme l’Europe, l’eau déboucha en trombe dans le Saint-Laurent enfoncé au profond du pays, en contre-bas des terres inclinées. Et le fleuve se dilatait et se gonflait. Il envahissait ses rivages, couvrait ses îles, inondait des provinces de forêt. Pouce à pouce, il soulevait la plate carapace blanche, posée sur lui comme un couvercle bien hermétique. Et voici que, rongée de l’intérieur par le courant, de l’extérieur par le soleil, celle-ci se mettait à craquer et à trembler. Et avec effort, péniblement, par soubresauts, elle démarrait ; libre au milieu, elle prenait de l’élan, elle voguait d’une force irrésistible de pesanteur en mouvement ; mais sur les bords, elle raclait