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les opiniâtres

manches, sans geste aucun, d’une voix neutre, le missionnaire parla.

— Vous le savez : je fus capturé dès la fin du mois d’avril. Pieds nus, dépouillé de presque tous ses vêtements, marcher pendant de longs jours dans la neige fondante ; traverser des rivières et des ruisseaux où la glace se dissout encore ; dormir debout, lié à un arbre, ou sur la terre glacée, et frissonner sans arrêt, claquer des dents du crépuscule à l’aube ; courir entre une double haie d’Iroquois, recevoir la bastonnade — des coups à assommer, à infliger des plaies ; sentir un couteau ébréché trancher la main gauche jusqu’au poignet entre l’annulaire et le petit doigt ; demeurer sur un échafaud à la vue du peuple lorsque le vent gèle le sang au sortir des blessures ; être criblé de coups d’alène ; devenir le jouet d’enfants qui arrachent la barbe et les cheveux ; subir l’arrosage de tisons et de charbons ardents ; éprouver les piqûres de bâtons de bois dur effilés ; regarder le bout de ses doigts se consumer dans des calumets jusqu’à la première, jusqu’à la deuxième jointure ; se faire arracher les ongles ; marcher autour des feux sur des pointes de bois qui s’enfoncent dans les plantes ; suivre les progrès d’un pieu aigu qui transperce le pied ; et quand ces jeux s’achèvent, vers une heure, deux heures du matin, trembloter sur la terre d’épuisement, de souffrance et de faim. Marcher vers un second village et là, recommencer la ronde des tourments. Parvenir à une troisième bourgade et être suspendu par les pieds avec des chaînes ; assister, impuissant, aux progrès de la gangrène, puis devenir infect et puant ; observer la multiplication des vers dans ce cadavre qui a oublié de mourir ; endurer la cautérisation par le feu ; espérer mais en même temps redouter chaque jour le supplice final des flammes… Un homme en santé, c’est dur à mourir…

Ysabau pleurait d’horreur.