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les opiniâtres

pâlissait sous le soleil ; la chaleur immobile pesait sur le défriché. Chaque coup de hache se répercutait en échos.

Durant ces longues factions, Ysabau réfléchissait. Comment cette aventure se terminerait-elle ? Pierre et elle s’exposaient de façon patente. Pierre le constatait-il ? Il s’absorbait dans son dessein, il y vivait comme dans un cocon. Chaque incident n’éveillait pas dans son esprit la répercussion nécessaire. Parfois, il comprenait la signification d’un avertissement, il songeait à des mesures de prudence. Puis, le lendemain, il se replongeait dans son travail. Il ne percevait bien que les éléments qui l’encourageaient dans son entreprise ; inconsciemment, il négligeait les autres. N’acceptait-il pas la plénitude du risque durant certaines heures de lucidité ? Voué par sa nature à un destin, ne décidait-il pas alors d’y persévérer malgré les épines qui lui déchireraient la chair au passage ?

Ysabau tentait de briser l’intensité de cet effort. Non pas qu’elle eût peur. Mais il lui semblait que Pierre aurait dû montrer plus de souplesse dans sa ténacité, subir la loi des événements au lieu de vouloir leur imposer celle d’une volonté trop ardente.

Ysabau veillait, en alerte au moindre bruit ; parfois, les larmes lui coulaient des yeux. Elle veillait, lui semblait-il, un enfant mal doué pour la vie et qui exigeait une sollicitude continuelle.

Et, soudain, Pierre venait vers elle, sa tâche terminée. S’enlaçant aussitôt, ils partaient dans l’ombre des arbres, car le soleil s’était abaissé ; plus loin, ils rejoignaient la nappe de lumière aussi dorée que la surface des blés. Et Pierre disait avec tristesse :

— Quand on a commencé une chose que l’on aime, on est tiré vers l’achèvement ; on est traîné