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les opiniâtres

la construction du retranchement. Une belle escarmouche, quoi ?

Monsieur du Hérisson regarda autour de lui. Il cria durement :

— Anne.

Anne sortit de la cabane et répondit :

— Oui, papa.

— Anne, ne t’éloigne pas. Je veux savoir où tu es.

Anne était devenue une robuste adolescente d’une douzaine d’années, le teint hâlé, les mouvements gracieux. Elle avait surtout des yeux bruns, un peu opaques, d’un magnétisme singulier. Leur regard insistant, lourd, plus épais qu’un fluide ou qu’un rayon de lumière, s’attachait aux personnes et aux choses. On en sentait presque le toucher adhésif comme une caresse matérielle ; on en distinguait la couleur brunâtre comme s’il avait été liquide. Pour tout voir, Anne se précipitait à la suite d’Ysabau, de Koïncha, dans la maison, le wigwam ou les essarts. Son père la rappelait d’un ton sec. Pierre devina que l’inquiétude se dérobait sous cette rudesse. Si Anne disparaissait, monsieur du Hérisson continuait à causer, mais il tournait la tête dans une direction, puis dans l’autre, et finalement il criait :

— Anne, Anne.

Sans mot dire, Anne survenait, lui passait un bras autour du cou et debout sur une jambe envisageait Pierre. Celui-ci disait :

— Anne, tu t’es mis du sirop des Îles dans les yeux ; quand tu regardes, on se sent la figure poisseuse.

Anne laissait rouler, comme autrefois, les cascades de son rire violent et bref. Puis de nouveau grave, concentrée, elle recommençait à lorgner avec insistance. Mais soudain distraite, elle repartait en courant.

— Ah ! ce sont des politiques, poursuivait monsieur du Hérisson. Leur grand conseil rappelle