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les opiniâtres

Souvent, Pierre avait agité toutes ces conjectures dans son esprit. Elles lui avaient paru dangereuses.

— Pourtant, un jour nous recevrons l’assistance nécessaire.

— Ce jour-là, je défricherai de bon cœur.

Les deux hommes surveillaient attentivement leurs lignes. Soudain, ils entendirent un cri, ou plutôt un gémissement. Ils se dissimulèrent au fond de l’embarcation, jetèrent un regard par-dessus le plat bord. Était-ce une troupe iroquoise ? Ils aperçurent sur la grève une forme humaine immobile ; ils approchèrent à petits coups de pagaie, dans la crainte d’un guet-apens. Ils discernèrent une Indienne à demi-morte. Aucune blessure grave. Mais le corps se montrait d’une maigreur terrible. La peau rougeâtre se tendait sur les côtes comme sur des cerceaux ; elle était lacérée par les branches aiguës, les épines, lardée de piqûres de moustiques et de plaies peu profondes.

Pierre et Eustache ramenèrent sur l’autre rive la Sauvagesse évanouie. Ysabau lui donna les premiers soins ; Sarrazin avertit Jacques Hertel au fort. Celui-ci se présenta sans tarder. Pendant que l’Indienne mangeait et buvait un peu, l’interprète obtint les renseignements qu’il désirait. Il les communiqua tout de suite à Pierre et à Ysabau.

— C’est une Algonquine. Elle porte le nom de Koïncha. Elle s’est évadée d’un village iroquois. Voilà près de deux mois qu’elle marche dans la forêt. L’hiver passé, deux cents Agniers ont quitté leur pays pour exécuter une incursion au Canada ; ils se sont divisés en deux bandes : la première s’est dirigée vers les Trois-Rivières, mais elle a rebroussé chemin à la suite de la mort de ses deux capitaines ; l’autre a remonté l’Outaouais sur la glace ; elle a découvert sur la neige les pistes de la tribu de Koïncha ; elle a attaqué durant le premier sommeil, au début de la nuit.