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les opiniâtres

l’été se desséchaient. Le domaine avait jeté sur lui son sortilège.

Cependant, la reprise des travaux avait eu lieu trop tard. Il pleuvait souvent ; l’herbe avait obstrué les goulettes ; les mares se multipliaient. Sur la terre spongieuse, entre les souches, la vache traînait les charretées légères d’orge, de froment et de sarrasin en mauvais état.

Un soir, ils arrachèrent les derniers légumes : navets, raves, oignons dont l’herbe avait empêché la croissance. Un soleil blanc luisait entre les nuages, dans un lambeau de bleu. Pierre leva la tête.

— Ce rayon de soleil, c’est le vent d’ouest pour la nuit ; le froid va prendre.

Ils revinrent. Leurs pas s’enfonçaient dans le sol humide ; marcher dans les regains à côté de la piste, c’était se déplacer dans l’eau jusqu’aux genoux, tellement la rosée était abondante ; la moindre branche les aspergeait. Tous deux éprouvaient la fatigue d’avoir tiré sans fin sur des touffes de feuilles jusqu’à ce que le tubercule s’échappât de son alvéole, subitement. Trop las pour parler, ils suivaient la charrette.

Ysabau rentra tout de suite à la maison. Elle alluma le feu pour se réchauffer. Elle aperçut la boue de ses pieds, de ses mains, de ses vêtements. Un coussin sous la tête, elle demeura là, un instant, à se reposer. Pierre entra. Il la vit telle qu’elle était. Il s’arrêta net, frappé soudain par le contraste entre l’Ysabau des premiers jours de la Nouvelle-France, propre, coquette, et ce paquet de loques écroulé sur le plancher.

— Pierre, c’est toi ?

Ysabau sauta debout. Elle se lava, changea de vêtements. Le linge sec et propre s’appliquait maintenant léger et chaud sur la peau ; les membres remuaient librement sous la toile. Dépouillés de leur gaîne de glaise, les doigts recouvraient leur agilité. Tout le corps éprouvait un bien-être.