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très haut, corps immobile, les Indiens crient « hee, hee, hoo, hoo » pendant que les monotones tambourins scandent les sèches gesticulations.

Sans se hâter, Montour poursuit sa tâche d’une peuplade à l’autre, suivant pas à pas les traces de son rival ; et la surabondance de munitions, d’eau-de-vie et de marchandises convertit les indifférents et les tièdes.

Il n’éprouve une déception que chez les Couteaux-Jaunes, à l’est de la baie du Nord. Plus hardie que les autres, cette tribu moleste volontiers ses voisines, les rançonne, leur enlève leurs femmes si elles ne cèdent leurs richesses. Elle s’est donnée pour chef Tête Hérissée, près de qui Louis Cayen a passé tout un hiver pour apprendre le dialecte.

Après des journées de pourparlers sans résultat, de menaces sans effet, Montour doit s’éloigner ; il n’a pas obtenu autre chose que de vagues promesses.

Maintenant, il chemine sur la neige, sur la glace. En imagination, il voit les merveilleux ballots de castors, de loutres, d’hermines, de visons, de renards blancs, que les premiers traiteurs ont ramassés dans ces régions ; il pense à ces bandes errantes, Esclaves, Plats-Côtés-de-Chiens, Couteaux-Jaunes, qu’il vient de visiter. La plupart de leurs coutumes, on les trouverait codifiées dans la Bible. Sensibles, elles pleurent pour un rien ; mais à l’approche de la famine, elles abandonnent à la faim et à la mort des enfants, des malades et des vieillards ; leur rire retentit, plein d’innocence, mais leurs mœurs sont souvent immondes et les cas de cannibalisme sont nombreux. Elles ne craignent pas de causer la mort, et pourtant, au printemps, sous les bouleaux pleureurs, elles assistent à des cérémonies funèbres d’une tristesse aiguë.

Tour à tour ému ou révolté, Montour chemine. Il arrive enfin au fort. À Lenfesté, il peut assurer qu’il a regagné toutes les positions perdues. Mais au fond, il ne se fait pas illusion sur le résultat de son voyage. Qu’adviendra-t-il des fourrures promises aux deux forts, des crédits reçus de la main droite et de la main gauche, des ordres que chacune des Compagnies

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