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— Dois-je partir, me rendre auprès des tribus pour défaire le travail de Louis Cayen ?

— Peut-être… Vous le pouvez si vous voulez…

— Voyez-vous une autre solution ?

— Non… Non…

— Je pourrais donner d’autres cadeaux… offrir des crédits à ceux qui n’en ont point… augmenter ceux des autres, selon les besoins ?

— Vous verrez… C’est peut-être une bonne tactique…

Impossible de tirer autre chose du facteur que ce vague assentiment et de maigres indications. Le voyage est décidé cependant. Montour se jettera sur les traces de Louis Cayen avec l’interprète et quelques engagés de son choix ; il aura carte blanche en matière de crédits et de cadeaux.

Alors Nicolas Montour communique secrètement ses instructions à Philippe Lelâcheur, qui n’abandonne pas fort Providence. Leur entretien dure longtemps dans la sapinière qui protège l’habitation.

Afin de donner aux naturels une haute idée de sa personne et de sa mission, Nicolas Montour s’accoutre en militaire d’une redingote d’un rouge flamboyant ; il suspend une épée à ses côtés ; il s’orne la poitrine de médailles. Près de lui se rangent l’interprète, et trois engagés, dont Louison Turenne.

Après avoir chaussé les raquettes, la petite troupe se met en marche en arrière des traînes chargées de marchandises que les chiens enlèvent avec effort. Vite, elle disparaît sous bois. Et alors commence à se dérouler pour elle la forêt peu dense de sapins nains, tordus, de bouleaux et de trembles rachitiques. Comme des guirlandes de fête, une mousse verdâtre pend des arbres ; presque jamais de haute futaie et parfois des steppes granitiques boursouflées.

Dans la pénombre de la longue nuit polaire, ils arrivent un soir au premier campement indien. Du ciel sombre tombe une neige dure, semblable à du sel ; la fumée de la pointe des yourtes de cuir de caribou, file entre les sapins ; les feux, d’un

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