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— Si tu voulais, toi, Louison ; tu es le plus fort de tous. Cela s’impose. Il faut le ramener à la raison.

Malaterre enfin prend sa décision.

— Turenne, dit-il un soir, c’est ton tour d’entrer le poisson dans le magasin.

— Oui ?… Et ton tour à toi, quand vient-il ?… Puis, qui t’a donné le droit de me commander ?

Les yeux mi-clos, Turenne surveille Malaterre… Un silence. Sans remuer, les engagés ne perdent rien de la scène. Enfin, l’altercation se termine par une bataille à coups de poing. Et Malaterre est rossé de belle façon.

José Paul le regarde qui se relève la figure en sang. Il caresse toujours sa barbe ; ses regards se déplacent lentement, rencontrent, une seconde à peine, les yeux de Montour qui n’a pas bougé, au fond, adossé au mur.

— Bien. Bien, pense ce dernier. Voilà Turenne perdu dans l’esprit de Lenfesté. Il ne sera pas ici pour moi la même cause d’embarras que sur le fleuve Churchill. Et d’un.

Et il pousse un soupir de soulagement.

Puis, un autre soir, José Paul produit une bouteille d’eau-de-vie. Il invite Prudent Malaterre à boire. Les deux compères avalent rasades sur rasades. Mais Paul qui porte la boisson mieux que quiconque dirige habilement la conversation.

— Et Lenfesté alors ? Tu es dans ses bonnes grâces ? Il te laisse faire tout ce que tu veux, toi ?

— Lenfesté ? Ah ! Il ne peut se passer de moi. Il ne connaît rien et à un degré qui t’étonnerait… Comment mâterait-il les hommes ? Je le conduis comme je veux…

Gros, lourd, déboutonné, la figure en sueur, il parle, il parle… Il n’a rien remarqué, mais Montour a passé rapidement à côté d’eux, puis Philippe Lelâcheur. Et maintenant, Ulric Lenfesté est là, lui-même ; il écoute les propos désordonnés et pleins de vantardise de l’engagé pris de boisson. Puis il éclate…

Fini, le rôle de Prudent Malaterre. Piteusement, il doit reprendre sa place dans le rang des engagés. Sans intermé-

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