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concurrence, Lenfesté songe-t-il à son ancienne existence bouleversée ? Rêve-t-il à l’ancienne tranquillité du commerce, au drapeau hissé au faîte du mât pour l’arrivée d’une bande, aux volées de mousqueterie de ses employés auxquelles répondaient les fusillades des Indiens ? S’armant de dignité, le porte-drapeau avançait d’un pas lent, le chef à sa suite, tous les autres naturels à la file, la figure barbouillée de vermillon. Le chef s’asseyait sur un coffre, les autres, sur le plancher, autour de lui, en cercle. Avec lenteur et dignité s’accomplissait la cérémonie du calumet. Et, lui, Lenfesté, directeur patriarcal et méticuleux de ces fêtes, donnait à ses hommes l’ordre d’apporter les cadeaux à ses pieds : une petite barrique d’eau-de-vie, des couvertures, des uniformes, des chemises, plus un habillement complet pour le vénérable sagamo, ou bien des médailles.

La conférence se poursuivait parmi la curiosité narquoise des engagés. Leur veine joyeuse se donnait libre cours ; ils s’esclaffaient à la vue du Capot Rouge qui portait une redingote de cuirassier, mais pas de chausses ou de souliers ; ils couvraient le Héron de quolibets parce que ce héros étayait un corps bien court sur des jambes bien longues ; ils affublaient enfin de sobriquets tous ces Indiens de comédie dont l’habillement ou la personne prêtait à rire.

Graves, les indigènes prononçaient leurs discours ; puis ils troquaient paisiblement leurs pelleteries contre des marchandises et retournaient à leur forêt naine dont la croissance est entravée par le froid qui conserve gelé, d’une saison à l’autre, le maigre sous-sol des toundras.

Au fort recommençaient ensuite les mornes journées et la somnolence de l’hiver boréal. Délivré de soucis, Lenfesté fumait sa pipe, chassait un peu, absorbait des liqueurs alcooliques, à heure fixe, devant les foyers remplis de bois qui flambait.

Nicolas Montour, lui, ne rêve point et ne se remémore point le passé. Il se met à l’œuvre. Trois ou quatre hommes se rendent, dès le lendemain, dans les gorges peuplées de sapins,