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voyageurs. Il s’arrête, face à la fraîcheur des vagues, à la monotonie de leur murmure, dans l’énervement des chaudes ténèbres et du vent. Puis il repart.

Une exaltation calculatrice le domine. Hardi cavalier, il a trouvé enfin une monture à sa taille, une monture à sa force, pour la course de la vie. Les circonstances favorisent l’ambition dans la Compagnie du Nord-Ouest : de belles promotions à recueillir, des fortunes à récolter, de beaux espaces à parcourir, voilà ce qui s’offre.

Montour marche. Il retrouve le silence des solitudes. Enfin, il peut s’asseoir, méditer sur les anciens jours, combiner et mettre au point.

« Enfin… enfin », voilà le mot qui se forme continuellement sur ses lèvres. Orphelin pauvre, il s’est lancé dans diverses aventures, de modestes tâches à sa portée : menuiserie, bijouterie, comptabilité. Toujours, il se lassait vite : des routes qui ne conduisaient qu’aux culs-de-sac de la médiocrité, de la pauvreté. Pour gagner son pain tout au plus, il devait employer toute la subtilité de son esprit. Et il devait craindre les renvois, appréhender les affres de la faim, celles des recherches d’emploi.

Et maintenant, au lieu de cet horizon borné à longueur de bras par le mur de la gueuserie, une large porte s’ouvre sur la fortune. Rien ne lui paraît trop pénible pour conquérir l’une de ces parts dont on ne sait encore rien de précis. « Enfin… enfin ». La bouche de Montour prononce toujours les mêmes mots. Cette occasion unique, il ne la laissera pas échapper.

Il revient tard. Une joie le gonfle de son ivresse. Il regarde, éclairé par la lune, le fort surmonté du mât où claque un drapeau invisible, il écoute le violon merveilleux et grêle.

Après un court sommeil, dans la matinée, il rencontre Cournoyer qui lui donne de plus hautes espérances encore.

— Vous partez demain pour le lac à la Pluie, dit le guide. Votre bourgeoys n’est pas encore arrivé, nous l’attendons ces jours-ci. Êtes-vous satisfait ?

— Oui, je vous remercie.

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