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— Il faut bûcher du bois, lui dit Guillaume d’Eau.

— Mais où est la hache ? lui demande Turenne au bout d’un instant.

— Fleur d’Été l’aura laissée dans sa tente à son départ.

Louison Turenne s’y rend ; il soulève la pièce de cuir qui ferme la tente. La hache est bien là ; mais Fleur d’Été aussi, étendue sur des fourrures. Et il comprend que c’est une mise en scène.

Il sort brusquement. Parmi les arbres, il voit se glisser hors d’haleine José Paul, Guillaume d’Eau, d’autres encore. Mystérieusement transmis, des signaux, semble-t-il, les réunissent brusquement en cas d’alarme.

Fleur d’Été est veuve. Montour prend les moyens pour l’empêcher de se remarier et de s’enfuir ; il lui fournit la subsistance, le logement. Car il veut qu’elle soit toujours sur la route de Louison Turenne, qu’elle le rencontre dans les bois, dans la nuit, sur tous les chemins.

Tentation brutale, tentation crue qui ne se voile point, qui ne se déguise point, qui ne s’adoucit point.

Mais lorsque Montour constate qu’il ne peut démoraliser son adversaire, il se retourne du côté des tentations nobles. Car il sait faire appel aux bons aussi bien qu’aux mauvais instincts ; entre eux, il ne fait aucune différence. Qu’importe en effet pourvu qu’il réussisse.

Aussi Guillaume d’Eau aborde Turenne. Guillaume d’Eau, un corps long, une tête petite plantée comme une boule sur un long cou. Mais des yeux finauds qui guettent.

— Nous poursuivons auprès des Indiens une tâche inique : nous les dégradons.

— Oui, au lieu de les aider, comme nous devrions.

— Personne ne les aime, personne ne songe à leur bien-être, à leur instruction… C’est une chose à laquelle j’ai souvent songé. En moins de vingt ans, tous les Indiens des pays d’En-Haut seront ivrognes.

« Ils s’entre-tueront jusqu’au dernier. Compte toi-même le nombre des morts et des blessés dans la bande qui nous a

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