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Mais comme il les connaît bien les ressorts qui font mouvoir l’âme humaine ! Chacune de ses paroles, pour grossière qu’elle soit, éveille une réaction violente chez Louison Turenne qu’il surveille du coin de l’œil ; et il laisse la tentation s’enfoncer comme une javeline avec son poison dans l’esprit et la volonté ; il laisse l’âme devenir malade elle-même, s’énerver, se vermouler dans l’attente, l’imagination en éveil, se saturer de rêves et d’images. Sa puissance d’intuition est merveilleuse.

Et ensuite, il guette le résultat d’un œil vif ; il est à l’affût des signes de faiblesse : demandes de renseignements, paroles de toute sorte qui indiqueraient que le poison fait son effet. Vif, alerte, il se tient prêt à modifier sa tactique, à prononcer le mot d’encouragement, à noter à quel prix la Compagnie pourra s’en tirer, à insister sur l’argument qui a surtout frappé l’autre… à inscrire dans sa mémoire une parole d’acquiescement, à proposer enfin l’arrangement que désire la Compagnie et qu’il est autorisé à offrir.

Mais tiré un instant de sa sérénité patiente, Louison Turenne y rentre aussitôt. Il fait l’homme qui n’a point compris.

Aux Grandes Fourches de la Rivière Rouge, Nicolas Montour doit s’avouer qu’il a complètement échoué. Après chaque insuccès, sa colère s’est augmentée un peu parce qu’il a deviné le mépris que le gouvernail éprouvait, non seulement pour ses tactiques, mais encore pour sa personne ; et son exaspération devant un silence que rien ne peut rompre, ne connaît plus de borne.

Car en même temps que Montour note les refus, il ne s’y arrête pas ; il ne respecte ni la volonté, ni les dispositions, ni les décisions des autres. Les moyens de les modifier de force lui viennent immédiatement à l’esprit ; et il les met en œuvre avec brutalité.

Mais à ce moment cesse son rôle apparent. Après le départ des Fourches, avec les naturels, c’est en arrière de la scène qu’il se tient. Extérieurement, il reste en bonnes relations avec le gouvernail ; mais, secrètement, il agit par personnes

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