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des Iroquois de Montréal pour conduire la chasse aux castors dans ces belles réserves. Mais bientôt, il change d’idée. Non, les Iroquois ne tiendraient pas le coup devant ces guerriers cruels, au masque mongol, qui surveillent les prairies sur leurs chevaux sauvages.

Que faire ? La dérouine ? Peut-être donnerait-elle quelque chose dans le Nord, chez les Cris. Voilà, il faut bien agir de quelque façon, entreprendre quelque chose. Mais les engagés refusent de partir.

— Mon bourgeoys, mon bourgeoys, ce n’est pas un pays à la dérouine ; c’est trop dangereux.

Reste Louison Turenne. Il irait, lui. Montour hésite. Comment confier à cet homme une tâche qu’il mènera à bien ? Mieux vaut le tenir à des besognes sans gloire.

Longtemps Nicolas Montour refuse d’entretenir l’idée. Mais, à la fin, il se décide. Les choses ne peuvent continuer à aller de cette façon : il lui faut des pelleteries.

Louison Turenne se rend chez les Cris, Gens de Bois Forts. Il part en raquettes, tirant derrière lui le traîneau qui porte ses provisions et quelques marchandises de traite. Une poussière de diamant semble incrustée dans la neige ; elle jette des feux et luit. Une brise assez forte s’élève : aussitôt, la poudrerie court, silencieuse, à la surface des plaines qui fument comme la surface d’un lac un matin d’automne.

Louison Turenne entre dans la forêt. Tout de suite, règne le calme doux de la blancheur moelleuse. La neige gît là en lourdes couches immobiles, épaisses, non durcies par le vent ; elle écrase les rameaux des conifères.

Turenne suit de vieux sentiers à peine indiqués qui serpentent sous bois, dévalent dans des ravins, franchissent des ruisseaux et des lacs qui ne sont plus, dans le paysage, que de grandes clairières. Le soir vient : l’homme s’arrête, creuse un large trou avec ses raquettes et les suspend ensuite à un arbre. Il allume un grand feu et il mange. Bientôt, il s’allonge sur le lit de branches de sapin, au fond du trou, entre les grosses couvertures ; l’air pur passe entre ses lèvres, froid

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