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à être arrêté et mis dans les fers. Mais rien ne se produit ; Nicolas Montour ne change pas d’attitude envers lui. Bientôt le coupable se rassure : rien ne sortira de ce délit. Mais il ne sait pas les pensées du traiteur.

Connaître les petits secrets infamants, voilà le meilleur moyen. Mais de même que les bourgeoys réclament le tribut des ambitions des autres. En sa qualité de chef du fort, sa charge lui donne d’excellentes occasions de protéger et d’avancer ses subordonnés. Il a même à son service des racoleurs chargés de répandre la nouvelle de son influence.

— Montour est bien vu des Bourgeoys, dit à qui veut l’entendre Philippe Lelâcheur ; on ne peut trouver un meilleur ami. Il peut avancer beaucoup ceux qui veulent le charger de leur avenir.

Une fois amorcé, quel homme plus souple que l’ambitieux ? Et Nicolas Montour, satisfait de prendre sa revanche, sait exiger de lui ce qui convient. Quelquefois, celui-ci se montre récalcitrant ; il a d’autres protecteurs, d’autres amis ; il refuse de travailler sept ans chez Laban avant d’obtenir l’objet de sa convoitise. Nicolas Montour emploie alors sa subtilité à bloquer sa carrière et à lui faire échec ; aucune intrigue qu’il ne mette en œuvre à cette fin ; il profitera de chaque occasion pour le desservir.

Longtemps, il a espéré mettre de cette façon la main sur Louison Turenne ; aucune prise ne lui aurait donné plus de plaisir. Car Nicolas Montour n’entretient aucune illusion sur lui-même ; il le sait : il ne jouit pas de la popularité de son compagnon, il n’en a pas la force honnête et sûre ; il ne peut, comme lui, conquérir les Indiens, gouverner ou commander les hommes avec leur assentiment et leur sympathie, remporter des succès sans se souiller les mains ; l’ascendant naturel de Turenne et son habileté physique lui font défaut.

Turenne le compléterait, mais Montour ne songe qu’à une sorte de collaboration : celle qu’il imposerait, dont il serait la figure dominante, et, surtout, l’unique bénéficiaire, la même qu’il exige de ses membres, de ses bras ou de ses pieds.

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