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— L’affaire peut se régler facilement, dit-il.

— Oui ? demande ironiquement Louis Cayen.

— Nous achetons au taux courant vos marchandises et les trois ou quatre ballots de fourrures que vous avez entassés dans votre fort. Vos engagés, la Compagnie du Nord-Ouest les prend tout de suite à son service ; à vous, elle donne un bon emploi et un bon salaire. N’est-ce pas une proposition à débattre ? On peut s’entendre là-dessus.

— Voilà ce que vous voulez ? Nous ne sommes pas encore à bout de ressources.

— À quoi bon parler ? Nous avons la force et vous le savez. Une reddition immédiate épargnerait bien des souffrances aux hommes. N’est-ce pas le bon sens ?

— Nous verrons bien.

— À votre guise ; nos offres sont valables en tout temps.

Montour n’insiste pas : il a prévu l’échec. Mais c’est déjà un excellent résultat que d’avoir planté cette tentation dans l’esprit de son rival. Le harasser, le harceler sans cesse d’un côté ; mais de l’autre, lui tendre la branche d’olivier et éveiller dans son esprit un beau rêve de tranquillité. N’est-il pas toujours dangereux d’acculer un homme au désespoir ?

Et voici Noël au pays de la lune : sereine, elle règne pendant dix-huit heures sur vingt-quatre, inondant de sa blanche clarté froide les paysages de marbre blanc. Quant au soleil, il monte si peu haut dans le ciel, il reste si peu longtemps au-dessus de l’horizon, que ses rayons, presque parallèles au sol, ne réchauffent plus.

Au Fort Providence, la gaieté anime la fête. Des salves de mousqueterie éclatent à l’aube. Comme régale, les engagés reçoivent une chopine de rhum, quelques jointées de farine, et quelques morceaux de sucre du pays. Ils fabriquent des grogs et des gâteaux. Bientôt, on fait grand’chère, on danse, on s’enivre, on se querelle, on se bat, on rit, on noie dans une lourde excitation le souvenir des villages natals où les cloches sonnent leur allégresse dans les campagnes.

Ces heures de dissipation ne ramènent point la paix. Prévenu

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