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Montour pratique aussi les deux chasseurs-pourvoyeurs de son adversaire. Qu’ils ne retournent pas dans leur tribu, non ; mais qu’ils reviennent les mains presque toujours vides, au fort des Petits ; qu’ils mangent eux-mêmes le gibier qu’ils pourront tuer. Montour les récompensera ; ils recevront une double paie, une de chaque compagnie. D’autres cadeaux fort alléchants scellent ce marché.

Autour du fort ennemi, le blocus se resserre. Comme un fantôme cruel, la famine imminente se dresse dans l’imagination des Petits. La traite des pelleteries devient la seconde de leurs préoccupations. Leurs marchandises, ils doivent les consacrer à des achats de vivres, s’ils peuvent en trouver.

Montour redoute la pitié de ses hommes qui détruirait son œuvre. Alors, sans que l’on sache au juste ni pourquoi, ni comment, des querelles éclatent continuellement entre les engagés des deux forts. On s’accuse mutuellement de petits méfaits : vols de bois de chauffage, de gibier dans les pièges, de collets tendus. Des rixes se produisent chaque jour. La haine monte. Chaque homme fait de la rivalité des deux compagnies son affaire personnelle.

Montour, que peut-il désirer de plus ? Il n’a pas besoin de stimuler le zèle de ses engagés. D’eux-mêmes, ils mettent une fièvre dans l’espionnage, une fidélité à la chasse, une audace dans les combats dont le traiteur se réjouit. Et Lenfesté se montre surpris. Il ignore jusqu’à quel point, en sous-main, l’équipage de Montour conduit toute cette lutte. C’est toujours elle qui provoque les frictions, anime les autres engagés, resserre le blocus jusqu’à étouffer l’adversaire.

Louis Cayen est révolté de cette politique d’une cruauté si implacablement organisée. Un jour, il rencontre Montour dans la forêt ; il lui reproche cette petite guerre, les dangers qui menacent un groupe d’hommes, et l’effusion possible du sang. Sans rien contester, ni excuser, Montour laisse passer les invectives. L’usage de la force, si révoltant, que l’on dissimule d’ordinaire avec habileté, il ne se donne pas la peine de l’excuser ; il la publierait plutôt partout.

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