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filets ? Pouvez-vous prouver que nous sommes responsables de la perte de vos engins de pêche ? Qui vous dit que ce n’est pas l’un de vos voyageurs qui a fait le coup parce qu’il était dégoûté du travail ?

Lenfesté avait beau jeu : les Petits n’avaient-ils pas ouvert les hostilités eux-mêmes en battant José Paul qui ne pensait qu’à rigoler ? De quoi pouvaient-ils se plaindre maintenant ?

Mais Louis Cayen n’était pas si naïf, lui. Il lisait bien dans notre jeu ; il savait que nous avions provoqué ses hommes à ouvrir les hostilités, et que le blâme, malgré tout, retomberait sur lui. Il enrageait.

Nicolas Montour félicite Lelâcheur. « Tout va bien alors ; mais ce n’est qu’un commencement, tu verras. » Et il rit.

La pêche abandonnée de force, Louis Cayen n’a plus maintenant de ressource qu’en la chasse. Chez les Esclaves, il prend à son service deux chasseurs-pourvoyeurs ; il arme ses hommes de pièges et de fusils bien que le gibier n’abonde pas dans les alentours : les territoires visités par le caribou sont situés plus au Nord, ou bien plus à l’Ouest. Ce que les chasseurs tuent est moins que rien. Mais Louis Cayen établit des relations avec la bande la plus rapprochée qui leur apporte de la viande : caribou boucané, poisson fumé, venaison fraîche.

Par ses espions, Nicolas Montour connaît jusqu’aux pensées de son adversaire. Il réplique tout de suite. À son tour, il lance à la chasse son personnel beaucoup plus nombreux ; chaque prise rapporte à celui qui l’a faite une prime d’un cinquième plus élevée que celle qui prévaut en temps ordinaire.

Ainsi stimulés, les engagés étendent de longues séries de pièges et de lacets qui rayonnent dans toutes les directions sur une distance d’une quinzaine de milles. Des coups de fusil éclatent à toute heure du jour et les engagés des deux forts se disputent les proies inanimées. C’est un massacre, et bientôt il ne reste plus rien de vivant, ni lièvres, ni gelinottes des neiges qui, en temps normal, foisonnent et constituent la suprême ressource des Indiens durant les jours de famine.

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