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L Education sentimentale, où ce défaut est le plus appa- rent, abonde en épisodes achevés, la soirée chez la Maréchale entre autres. Dommage qu’on y regrette l’unité sévère de Madame Bovary. L’école moderne a tort de mépriser trop l’intrigue d’un roman. Que cette intrigue, empruntée àla réalité, reste simple, je le veux ; mais on ne fait pas un livre avec des détails accumulés ; toute œuvre a besoin d’un commencement, d’un milieu et d’une fin ; elle doit laisser une idée nette dans l’esprit du lecteur. J’attribue à la façon dont écrivait Flaubert la confusion très sensible de ses derniers ouvrages. Tra- vaillant lentement, il perdait le fil conducteur, oubliait des mois son sujet pour perler l’expression ; le détail l’étouffait. Plus l’auteur se contentait difficilement, plusle public s’éloignait de lui. Cet abandon navrait le grand écri- vain. Son ignorance complète des conditions de la vente lui montrait un succès, dès qu’il lançait un livre ; et les déceptions, sans l’empêcher de se remettre à l’œu- vre, le faisaient crier contre « la haine de la littéra- ture. » Ces brusques revirements tenaient autant à la naïveté de sa nature primesautière qu’à son provincia- lisme. Le moindre éloge, sorti de plumes très obscures, le ravissait ; il avait conservé les joies du débutant, et gardait dans une des poches de sa veste l’article récent où l’on parlait de lui. Par contre, il refusait de donner le moindre détail sur sa vie, déclarant que l’œuvre seule d’un écrivain appartient au public. Il poussait cette discrétion si loin qu’il ne voulut pas laisser publier son portrait. Une femme le lui avait arraché, après bien des refus, dans un jour de faiblesse tendre. Cloîtré la plus grande par- tie de l’année dans sa maison de campagne de Croisset,