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reprenait encore, passait la nuit dessus, la démontait et recommençait. Cette souffrancedel’accouchementle plongeait parfois dans des atonies prolongées : à force de chasser les répétitions, les rimes, les assonances, il se donnait des migraines et se stérilisait. Il avait mis cinq ou six ans à faire Madame Bovary, il en mettait sept ou huit pour composer et écrire ses derniers romans. Aussi, lorsque, par haine de son premier né, il se mettait à l’éplucher tout haut, y trouvait-il des négligences sans nombre, ne comprenant pas comment « ce bouquin-là » éclipsait ses cadets. Il est vrai que sur sept années, il en employait au moins deux ou trois à des recherches d’une minutie extrême, dépouillait un livre pour y trouver une note, et, dans la rédaction, réduisait une page de notes en une ligne. Il a travaillé sur la langue d’Hugo, au dire de M. Zola, comme Boileau sur la langue de Corneille, il a porté la hache dans l’inextricable forêt. Là est le secret de sa stérilisation. « Lentement, des jambes à la taille, puisa la tête, Flau- bert devenait un marbre[1]

Ce qui rend difficile, pour ne pas dire ennuyeuse, la lecture des derniers ouvrages du romancier c’est le manque d’un lien assez solide pour nouer toutes les parties. L’idée générale se noie dans le détail, quand l’idée générale n’est pas tout à fait absente, comme dans l’Éducation sentimentale. Cet endettement ne donne pas seulement l’indépendance aux épisodes, mais aux mots de chaque phrase. Ces livres sont comme des tableaux très finis, mais qui n’auraient point de centre, L’œil se fatigue vite à des minuties curieuses pour des hommes de l’art, mais superflues pour la foule qui ne voit pas clairement à quel but ces détails concourent.

  1. É. Zola. Les romanciers naturalistes, page 215.