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se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d’une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux qui étaient encore attelés, et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur, marquaient que ces deux voitures ne faisaient que d’arriver. (Manon Lescaut. — Ed. Charpentier, p. 2.) C’était un coffre jaune porté par deux grandes roues qui, montant jusqu’à la hauteur de la bâche, empêchaient les voyageurs de voir la route et leur salissaient les épaules. Les petits carreaux de ses vasistas étroits tremblaient dans leurs châssis quand la voiture était fermée, et gardaient des taches de boue, çà et là, parmi leur vieille couche de poussière, que les pluies d’orage même ne lavaient pas tout à fait. Elle était attelée de trois chevaux, dont le premier en arbalète, et, lorsqu’on descendait les côtes, elle touchait du fond en cahotant.

Quelques bourgeois d’Yonville arrivèrent sur la place ; ils parlaient tous à la fois, demandant des nouvelles, des explications et des bourriches. (Madame Bovary, p. 85.)


D’un côté, l’auteur n’a pas la prétention de peindre ; il se contente de raconter brièvement, laissant le champ libre à l’imagination du lecteur. À peine si la fatigue des chevaux est indiquée d’une façon pittoresque par le mot « fumants », ce qui rend cette description maigre et vague.

De l’autre côté, la précision des détails dresse l’Hirondelle devant nos yeux et ne nous permet pas de la confondre avec telle ou telle autre voiture. Flaubert ne compte pas, comme l’abbé Prévost, sur l’imagination du lecteur ; il ne lui abandonne rien ; il dit tout ce qu’il y a à dire. C’est un signalement qui équivaut à une photographie. L’auteur ancien aurait reculé devant les taches de boue des carreaux ; il n’aurait ja-