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vres moines écrivaient avec une grande netteté, enluminaient parfois avec une rare élégance ; pour les rois et pour les évéques, pour leurs abbés et leurs bienfaiteurs, ils consacraient trente années de leur existence recueillie à l’exécution d’un splendide missel ; leur humilité, leur abnégation, leur passion pour leur art, quelquefois leur amour des lettres, sont incontestables ; aussi rapportaient-ils de grosses sommes d’argent à leurs abbayes : témoin ces moines de Bayeux qui, en 1414, firent payer 600 escus d’or au bon roy Charles VIe les Heures, superbement enluminées, que ce pauvre prince offrit à la duchesse de Bourgogne, et ce manuscrit des Homélies d’Ai-

    donne à transcrire ? on aurait au moins la substance des livres, tout en riant de l’ignorance des copistes. Croyez-vous que si Cicéron, Tite-Live el d’autres vieux auteurs, surtout Pline, revenus parmi nous, se faisaient lire leurs ouvrages, on ne les entendrait pas se récrier à chaque page, prétendant que ce qu’on leur lit est le fait de quelque barbare et non pas le leur ? Le mal est qu’il n’y a ni règle ni lois pour les copistes : les ouvriers de tous les états sont soumis à des apprentissages, à des examens ; il n’y en a point pour des copistes : et cependant il nous faut les payer bien cher, pour les voir gâter tous les bons livres. » Et dans une lettre à Boccace, il se plaint de ne pouvoir trouver un homme en état de copier fidèlement son livre de Vita solitaria : « Vous ne pourriez croire, lui dit-il, que ce livre, qui a été écrit par moi en si peu de temps, ne puisse être copié dans l’espace de plusieurs années. » (Petrarcæ Epist. famil. Venetiis, J. et Greg. de Gregoriis, 1492 ; in-4.) Et sur un manuscrit de Cicéron, que décrit Montfaucon dans son Journal, ne lit-on pas cette énergique apostrophe : Non reperitur plus, tanta fuit negligentia atque inscitia eorum qui jam nos multis sæculis anteiverunt : qui suæ inertiæ utinam et ignorantiæ præmia digna ferant !