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NOTE DE STRADELLA. 357 luttes et de travaux, le caractère d’un poëte est connu comme son génie, et le vôtre ne s’est jamais démenti. Tous les arts vous sont redevables de conseils éclairés, ou de nobles inspirations; et quant à la musique, le seul art des anges dans le ciel, comme vous l’avez si bien dit, vous seul êtes capable de resserrer les nœuds de son antique et belle alliance avec la poésie. Mais vous avez un tort, monsieur, et nous vous le disons hau- tement, ce tort n’est pas la modestie si vraie, si naïve qu’on aime en vous, c’est la défiance qu’elle paraît vous donner de vos propres forces et de votre puissance sur l’esprit du public, et sur les jeunes imaginations. Nous nous disons en ce moment, au souper qui nous réunit, que si vous le vouliez d’une volonté ferme, vous seriez en peu de temps le régénérateur et le roi du théâtre français comme vous l’êtes de l’opéra. L’instant serait bien choisi ; le vieux genre est usé, et le nouveau davantage en- core par les excès quii’ont vieilli avant l’âge. Vous seul, mon- sieur, et nous vous le disons en conscience, vous seul pourriez ramener les beaux jours de la tragédie, parce que vous avez un talent conciliant, si l’on peut s’exprimer de la sorte. Vous faites tout ce que vous voulez, et vous savez vous arrêter avec un tact exquis là ou finit le nouveau, et où commenceiMit le bizarre. D’autres poètes ont peut-être certaines parties détalent plus imposantes; aucun ne possède comme vous cet ensemble précieux de toutes les conditions qui font la perfection d’une œuvre, et l’enchantement des connaisseurs. Essayez donc, monsieur, et soj’ez sûr d’un immense appui dans toute la jeu- nesse restée sage et dans tous les esprits vraiment lettrés. Soyez-en d’autant plus sûr que vous n’avez jamais cherché au- cun suffrage par aucune brigue, ni fait servir votre talent à aucune spéculation ou ambition personnelle, ni flatté aucun pouvoir; et que vous avez toujours été prêta seconder tout le monde, et même à donner votre secret aux débutants ; mais vous le pouvez sans crainte; il y aura quelque chose qu’Emile Deschamps de donnera pas : c’est son organisation si facile- ment heureuse, et cette variété de pensée, de style et de cou- leur qui fait de son imagination un prisme magique. Ainsi, monsieur, en sortant de l’Opéra, laissez-nous croire que nous vous retrouverons bientôt au Théâtre-Français pour nous débar- rasser du drame bourgeois ou frénétique, qui a parfois de l’in- térêt, mais qui n’est pas de l’art, et qui serait mieux placé à l’Ambigu. Quel bonheur de revoir la poésie idéale et si natu- relle à la fois venir avec vous reprendre possession de son trône usurpé! Du courage donc! Il vous suffit d’oser. Maintenant, monsieur, vous vous demanderez, peut-être, quels sont les gens qui vous parlent ainsi... A quoi servirait de signer quelques