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MARCELINE DESBORDES-VALMORE

jouer la tragédie et ne savait que cela. Le métier le tenait beaucoup plus qu’il ne tenait au métier. Foncièrement honnête et scrupuleux, il n’avait pas le cruel égoïsme de Delobelle, qui immole sa dignité d’homme à son amour-propre de cabotin.

Valmore lutte pour la vie avant de lutter pour l’art. Il est père avant d’être père noble. Il craint, comme l’employé, de perdre sa place et comme l’ouvrier de manquer d’ouvrage : pli commun à toutes les professions, à tous « les courages pauvres ». C’est un inquiet. Du lendemain, d’abord. Évidemment, il voudrait bien rester à Paris ; son intérêt, et une ambition qui lui est permise, après tout, l’y poussent. Mais dès l’instant que son espérance est trompée, il n’hésite pas, il repart pour Rouen. Lyon, Bruxelles… ; il se résigne « à ce moyen honorable de les soutenir tous ».

« Je te plains, lui écrit sa femme, en songeant que, tous les soirs, tu combats ton aversion pour soutenir ta famille absente. »

Est-ce de Delobelle, cela ? Profère-t-il les cris, roule-t-il les yeux, prend-il les altitudes du tragédien maudit ? Peut-être… de temps en temps… Mais il repart, voilà l’essentiel ; il repart pour gagner leur pain à tous à la sueur de son front sous les perruques et sous les fards.

Pour montrer à quel point le vieux ménage fut constamment uni, j’ai été tenté d’écrire qu’ils reviennent aujourd’hui saluer ensemble, comme à l’époque où, jeunes, ils étaient rappelés par le public.