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primer en telles et telles lignes ou figures, moins générales, mais visibles aux yeux ; et les lignes ou figures géométriques peuvent se traduire par des rapports entre les choses elles-mêmes qui sont encore plus particulières et concrètes, comme toujours est le réel. C’est ainsi un va-et-vient continu entre les conceptions de l’esprit ou les idées et les choses, les unes répandant sur les autres leur vérité, et celles-ci leur communiquant en retour la réalité.

Laquelle de ces trois ou quatre inventions vint à l’esprit de Descartes, le 10 novembre 1619 : on ne saurait le dire. Mais l’ensemble qu’elles constituent, remonte à ce temps-là, puisqu’il employa les neuf années qui suivirent, à s’exercer en cette science et avec cette méthode[1]. L’hiver de 1619-1620 marque donc la date décisive, et le point culminant de la vie intellectuelle du philosophe : d’un bond il s’est élevé au sommet d’où, comme à la lueur d’un éclair, toute l’étendue à parcourir désormais apparut un moment à ses yeux éblouis.

Ces inventions, en effet, sont bien de celles qui jaillissent tout à coup dans l’esprit, comme un trait de lumière, à la suite d’un long travail antérieur, et dont l’apparition produit une sorte d’éblouissement. Il n’en pouvait être de même des quatre préceptes de logique, adoptés aussi à ce moment par Descartes dans son poêle[2]. Il n’a pas eu à les inventer ; il les trouvait déjà, plus ou moins formulés, dans la plupart des traités. Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu’on ne la connût évidemment être telle ; diviser chacune des difficultés qu’on aurait à résoudre ; les examiner par ordre, en allant du simple au composé ; et revenir sans cesse sur ce qu’on a étudié, afin d’être bien sûr de n’avoir rien omis : voilà,

  1. Tome VI, p. 29, l. 30-31, et p. 30, l. 10. — D’autre part, Chanut, dans l’épitaphe très étudiée qu’il composa pour Descartes, avec des renseignements qu’il tenait de sa bouche, dit en propres termes : « …in otiis hibernis Naturæ myſteria componens cum legibus Matheſeos, vtriuſque arcana eâdem clavi reſerari poſſe auſus eſt. » (Baillet, t. I,. p. 430.)
  2. Tome VI, p. 18, l. 16, à p. 19, l. 5.