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d’ailleurs, ne faisait que reproduire celui du principal témoin, qui était son beau-frère Chanut.

Ainsi devait finir, surtout à l’étranger, et en pays protestant, un gentilhomme résolu à témoigner, au moins par point d’honneur, qu’il restait fidèle jusqu’au bout à ses obligations de sujet catholique du roi de France. Mais quels étaient, au fond, les sentiments intimes du philosophe ? A deux reprises, dans des lettres privées (lettres de consolation, il est vrai, et à des huguenots, auxquels il ne pouvait guère tenir un autre langage), il découvre franchement sa pensée. A la hauteur intellectuelle et morale où ce grand esprit s’était élevé, peu importait le culte où il se trouvait engagé du fait de sa naissance et de son éducation : il garda toute sa vie le même, parce qu’en vérité c’était là quelque chose d’extérieur, qui tenait surtout aux circonstances, et ne valait pas la peine qu’on le changeât. Mais là n’était point pour lui l’essentiel, que voici. A son ami Pollot, qui venait de perdre un frère, il écrivait en janvier 1641 : « Il n’y a aucune raison ni religion, qui puisse faire craindre du mal après cette vie à ceux qui ont vécu en gens d’honneur ; au contraire, l’une et l’autre leur promet joie et récompense[1]. » Et le 13 octobre 1642, à son ami Huygens, qui avait fait aussi la même perte, il assure « qu’il ne peut concevoir autre chose de la plupart de ceux qui meurent, sinon qu’ils passent dans une vie plus douce et plus tranquille ». Et qui lui donne cette assurance ? La foi ou la raison ? Toutes deux apparemment. Mais il avoue ici ce qu’il appelle « son infirmité » : bien qu’il ait la volonté de croire, et que même il croie très fermement tout ce qui lui est enseigné par la religion, « les choses dont il est persuadé par des raisons naturelles, le touchent, dit-il, bien plus que celles que lui enseigne la foi seulement[2] ». Le philosophe l’emporte donc sur le croyant ; s’il est persuadé de la vie future (une vie surtout bienheureuse, comme le pensait Socrate dans l’antiquité), ce n’est pas tant

  1. Tome III, p. 279, l. 27-31.
  2. Ibid., p. 580, l. 12-28.