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gère[1] ». On était en Suède, « au milieu des rochers et des glaces[2] » ; raison de plus, pour ce Français exilé, de se souvenir des prairies du Lison, et de l’Astrée, le roman en vogue à Paris au temps de sa jeunesse.

Cependant Chanut était enfin arrivé. Il revenait, non plus comme simple résident, mais avec le titre d’ambassadeur. La reine le reçut sans retard, le 23 décembre, et Descartes assista à la cérémonie de la première audience[3]. Mais presque aussitôt Christine partit pour Upsal, et son absence se prolongea quinze jours, c’est-à-dire la première moitié de janvier 1650[4]. Avait-elle jusqu’alors beaucoup philosophé avec son hôte venu pour cela ? Il est peu probable. Celui-ci pensait de plus en plus à regagner la Hollande. Sous ce climat de la Suède il ne se sentait pas dans son élément ; le froid augmentait : les pensées des hommes se gèlent en ce pays, disait-il, aussi bien que les eaux[5]. Dans le désœuvrement dont il souffrait, et sans doute sur le désir de la reine. Descartes se fit peindre; et on conserve à Stockholm un portrait de lui, que fit alors le peintre attitré de la cour, un Hollandais, élève de Van Dyck, David Beck[6].

  1. Tome XI, p. 661-662.
  2. Tome V, p. 349, l. 13.
  3. Ibid., p. 468. L’anecdote ici rapportée se trouve déjà dans la correspondance de Chanut. (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 275.)
  4. Ibid., p. 466, l. 10-13 : lettre du 15 janv. 1650. Déjà Chanut écrivait le 5 janvier 1647 : « Les feſtes de Noël ont auſſi eſcarté la pluſpart du Conſeil ; car on fait délices icy d’aller à la campagne au plus fort de l’hiuer. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 2-3.)
  5. Lettre à Brégy : p. 467, l. 3-4, 19-20, etc. L’année précédente, Chanut écrivait à M. de Brienne, 27 févr. 1649 : « Ie vous coniureray que ie ne voye point l’hiuer prochain cinq mois durant ſans degel la neige ſur la terre, comme nous l’auons preſentement. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 165.)
  6. David Beck, né à Delft, le 25 mai 1621, étudia la peinture sous Anthony van Dyck, et peignit successivement à la cour de Charles Ier en Angleterre, où il enseigna le dessin aux deux jeunes princes (plus tard Charles II et Jacques II) ; puis à la cour de France, enfin à la cour de Suède, où la reine Christine, dont il fit plusieurs fois le portrait, le créa son premier chambellan. Fatigué de la servitude où le tenait la reine, il finit par s’y soustraire, et retourna en Hollande, où il mourut à La Haye,