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l’affirmer. Elle l’approuva fort, dit-il, mais cette approbation générale témoigne moins de la pénétration de son esprit, que n’eussent fait quelques objections tirées des bons endroits. Or un seul point arrêta Christine, et lui donna quelque souci : l’étendue infinie de l’univers[1]. Si le monde est infini dans le passé, que devient le dogme de la création ? Et que deviendra la fin du monde, prédite par les Évangiles, si le monde est infini dans l’avenir ? Enfin le dogme de la créature humaine, fin principale du Créateur, et pour laquelle toutes choses ont été créées, que devient-il également, si l’Univers est infini dans l’espace, et comprend peut-être une infinité d’autres mondes ? Ces objections, remarquons-le, sont celles qui viennent les premières à un esprit de femme, pour ne pas dire de petite fille, que ses souvenirs de catéchisme inquiètent, et qui aussitôt s’alarme et s’effare. En ce temps-là, d’ailleurs, la conscience religieuse avait, chez presque tous, ce même genre de scrupules.

Notre philosophe ne se montra pas moins empressé, que la première fois, de répondre. La lettre de Chanut, envoyée à Egmond d’où il venait de partir, le rejoignit à La Haye ; Descartes était en route pour son second voyage en France. Sans attendre d’être arrivé à Paris, il répondit à la hâte, le 6 juin 1647, dans une chambre d’hôtellerie[2], et s’efforça de rassurer cet esprit quelque peu timoré. D’abord il invoque l’autorité d’un théologien catholique du xve siècle (avant la Réforme), le cardinal allemand Nicolas de Cues, qui enseignait déjà l’infinité du monde, sans que pour cela on l’eût censuré. Puis il reprend sa distinction, si commode, de l’infini et de l’indéfini : celui-ci dont on ne voit pas les bornes, et celui-là qui n’en a pas. Or, peu importe que des bornes existent réellement, si notre esprit ne peut pas les voir. N’est-ce pas, pour lui, comme si elles n’existaient pas ? Quant à la créature humaine, fin de la création, notre philosophe reprend une tactique qui, plus d’une

  1. Tome X, p. 620, l. 12, à p. 622, l. 8. Voir aussi t. IV, p. 609, l. 1-6.
  2. Lettre du 6 juin 1647 : t. V, p. 50-58.