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peut faire, ne parviennent jamais jusqu’à nous[1] ». Et nous en sommes capables par un suprême effort de générosité. Jamais philosophe ne s’était fait une idée aussi haute de l’homme, tout en demeurant dans les limites de l’humanité.

Car cette morale de Descartes est toute philosophique, et la théologie n’y a point de part. A peine nomme-t-il celle-ci une ou deux fois, et pour lui imprimer en passant, du moins à celle qui n’est qu’hypocrisie, une énergique flétrissure. Lorsqu’il oppose à la générosité l’orgueil mêlé de bassesse chez les esprits faibles, on ne peut s’empêcher de penser, comme il pensait sans doute lui-même, à un Voët, par exemple (et combien de théologiens, dans toutes les sectes, ressemblent à Voët !) Et il rapproche de ceux-ci, comme semblables au fond, ces esprits bas et faibles, prétendus esprits forts, « qui passent si promptement de l’extrême impiété à la superstition, puis de la superstition à l’impiété : en sorte », ajoute-t-il, « qu’il n’y a aucun vice ni aucun dérèglement d’esprit, dont ils ne soient capables[2] ». Plus loin, à propos de la satisfaction de soi-même, si légitime et si douce à la fois chez un homme vertueux, mais impertinente et ridicule, lorsqu’elle est mal fondée, il prend à parti et malmène rudement ces faux dévots, ces bigots, comme il les appelle, à qui sous prétexte de zèle leur passion dicte parfois les plus grands crimes, « comme de trahir des villes, de tuer des princes, d’exterminer des peuples entiers, — pour cela seul qu’ils ne suivent pas leurs opinions[3] ».

Ainsi s’achève, par des considérations de la plus haute moralité, un ouvrage qui prenait son point de départ dans la vie physique. Ce commencement jetait un jour nouveau sur l’origine des passions, que la théologie enveloppait de mystère. Elle les considérait comme un effet du péché, comme le triste héritage d’une faute originelle, comme une corruption

  1. Tome IV, p. 538, l. 14-16.
  2. Tome XI, p. 456, l. 3-12 : art. clxiv.
  3. Ibid., p. 472, l. 2-15 : art. cxc.