Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne s’agirait plus alors d’exil pour la princesse, et le meurtre de L’Espinay n’aurait été pour rien dans son départ, le prince Philippe lui-même ayant fini d’ailleurs par rentrer en grâce, à la longue, auprès de la reine sa mère.

Mais ce qui serait intéressant à connaître, et que sans doute nous ne connaîtrons jamais, ce furent les entretiens de Descartes et d’Élisabeth, qui suivirent le tragique événement du 20 juin 1646. Descartes vint au moins deux fois à La Haye, et vit la princesse : ce qui explique qu’il ne dit mot, dans ses lettres, de ce que celle-ci appelle « un nouveau malheur de sa maison [1] ». Et ce terme même dont elle se sert, ne montre-t-il pas qu’elle le déplorait, et sans doute le regrettait ? Ne dira-t-elle pas encore, dans une lettre suivante, que la violence était tout à fait contraire à sa nature ? Et Descartes aussi, dans une lettre de l’année précédente, n’avait-il pas, comme par un singulier pressentiment, condamné la vengeance ? Toutefois,


Haye, où il y a sept ans que le frottage de Hollande n’a operé. À son arriuee en ce beau lieu la, elle se donna tellement au cœur ioye de manger des fruictz qu’elle en ioüa du baston à deux boutz. Mais s’estant bien escuree, elle en a vsé du depuis liberalement & sainement. » (Ibid., 17901, f° 610.)
    À M. de La Thuillerie, 21 sept. 1649 : « … Nostre Cour est renforcee de celle de la Reyne de Bohesme, qui n’a non plus changee en son voyage de Gueldres, que M. son filz en celuy d’Angletre. Et pour preuue, ie vous diray, Monsieur, qu’ayant à son arriuee enuoyé sçauoir de ses nouuelles, la responce fut qu’elle auoit impatience de me veoyr pour m’en compter. Que fut-ce ? C’est que la pauure contesse de Leuestein, ioüant aux cartes auec Creuent, adossee contre la portiere du carrosse, vn cahot la feit ouurir, & la pauure dame feit le chesne fourchu. Voyla de quoy fut la (sic) triomphe… » (Ibid., f° 649.)
    À M. de La Cour (résident de France à Osnabruck), 15 nov. 1649 : « … Vous sçauez, Messieurs, les incommoditez de la Maison palatine, & ie veoy auec beaucoup d’autres les souffrances de la Reyne de Bohesme, reduicte quasy à ne pas auoir du pain pour sa Cour… » (Ibid., f° 791.)
    À M. de La Thuillerie, 9 déc. 1649 : « … La Reyne de Bohesme veut que vous sçachiez que, se trouuant pressee du derriere, elle donna bien de l’exercice à sa femme de chambre. Ie ne vous sçaurois dire plus ciuilement, Monsieur, ce que vous entendrez assez. » (Ibid., f° 856.)

  1. a. Tome IV, p. 449, l. 4-5. Voir aussi, p. 521, l. 11-17. Sur la vengeance : ibid., p. 285, l. 5-22.