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Méditations. j i 5

sont les mêmes jugements faux, les mêmes préjugés. Et voilà pourquoi Descartes voudrait extirper de notre esprit l'erreur : ce serait en finir avec cette végétation de doctrines erronées, et couper véritablement le mal à sa racine. Mais son doute prend une portée bien plus grande encore, avec l'introduction du malin génie, ou démon méchant, bref d'un principe mauvais qu'il suppose à l'origine. Pascal a vu nettement le danger de cette supposition, et qu'il était impossible cepen- dant à un philosophe d'y échapper : « l'incertitude de notre » origine, dit-il, enferme celle de notre nature^ ». Pascal est possédé du même besoin d'absolu dans la vie morale, que Des- cartes dans la vie intellectuelle. Un moment ces deux grands esprits ont regardé bien en face la théorie du mal radical, laquelle admise interdirait à l'homme à tout jamais aussi bien une pensée vraie qu'une bonne action. Pour qu'il soit réelle- ment capable et de l'une et de l'autre, il faut qu'il tienne son origine d'un être en possession de toute vérité et de toute bonté. Mais comment être sûr qu'un tel être existe ?

La seconde Méditation parut plus paradoxale encore. Des- cartes avait choisi ce premier titre : « De la nature de l'esprit » humain », De naturâ mentis humanœ. Puis, comme pour piquer davantage la curiosité, sinon même pour mystifier son monde, il ajouta : « qu'il (l'esprit) est plus aisé à connaître que » le corps », quod ipsa sit notior quàm corpus. Cela ressemblait à une gageure. Songeons, cependant, que sept à huit siècles de philosophie scolastique, et quinze à seize siècles de chris- tianisme, avaient façonné les esprits de telle sorte, que la question se posait, comme dira Gassend, entre la chair et l'esprit, Caro et Mens, entre l'âme immatérielle ou spirituelle et le corps qui n'est que matière, ou bien entre la substance, et le mode, et l'accident, le tout avec l'appareil obligatoire du syllogisme. Descartes se tire le plus habilement qu'il peut de

a. Pascal, Pensées (édit. Brunschvicg, Paris, 1904), t. II, p. 341-342 et p. 344-345.

b. Tome VII, p. 23-34- Tome IX (i« partie), p. 18-26.

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