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entré ignorant dans le monde, & la connoiſſance de ſon premier aage n’eſtant appuiée que ſur la foibleſſe des ſens & ſur l’authorité des precepteurs, il eſt preſque impoſſible, que ſon imagination ne ſe trouve remplie d’une infinité de fauſſes penſées, avant que cette raiſon en puiſſe entreprendre la conduite : de 5 ſorte qu’il a beſoin par apres d’un tres grand[1] natùrel, ou bien des inſtructions de quelque ſage, tant pour ſe defaire des mauvaiſes doctrines dont il eſt préoccupé, que pour jetter les premiers fondemens d’une ſcience ſolide, & deſcouvrir toutes les voyes par où il puiſſe 10 eſlever ſa connoiſſance juſques au plus haut degré qu’elle puiſſe atteindre.

Leſquelles choſes je me ſuis propoſé d’enſeigner en cet ouvrage, & de mettre en evidence les veritables richeſſes de nos ames, ouvrant à un chacun les moyens 15 | de trouver en ſoy meſme, & ſans rien emprunter d’autruy, toute la ſcience qui luy eſt neceſſaire à la conduite de ſa vie, & d’acquerir par appres par ſon eſtude toutes les plus curieuſes connoiſſances, que la raiſon des hommes eſt capable de poſſeder. 20

Mais, de peur que la grandeur de mon deſſein ne rempliſſe d’abord vos eſprits de tant d’eſtonnement, que la creance n’y puiſſe trouver place, je vous veux, avertir que ce que j’entreprens n’eſt pas ſi mal-ayſé qu’on ſe pourroit imaginer : car les connoiſſances qui ne ſurpaſſent point la portée de l’eſprit humain, ſont toutes enchaînées avec une liaiſon ſi merveilleuſe, & ſe peuvent tirer les unes des autres par des conſe-

  1. Lire plutôt : « tres bon ». Traduction latine « bonâ indole indigeat ». (Page 67, l. 22.)