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» même perfonne. Auffi les mariniers de M. Defcartes prirent-ils des mefures plus fùres pour ne pas tomber dans un pareil inconvénient. Ils voyoient que c’étoit un étranger venu de loin, qui n’avoit nulle connoiffance dans le pays, & que perfonne ne s’aviferoit de réclamer, quand il viendroit à manquer. Ils le trouvoient d’une humeur fort tranquille, fort patiente; & jugeant à la douceur de ſa mine, & à l’honnêteté qu’i' avoit pour eux, que ce n’étoit qu’un jeune homme qui n’avoit pas encore beaucoup d’expérience, ils conclurent qu’ils en auroient meilleur marché de fa vie. Ils ne firent point difficulté de tenir leur confeil en fa préfence, ne croyant pas qu’il fcùt d’autre langue que celle dont il s’entretenoit avec fon valet ; & leurs délibérations alloiem à l’affommer, à le jetter dans l’eau, & à profiter de fes dépouilles. »

« M. Defcartes, voyant que c’étoit tout de bon, fe leva tout d’un coup, changea de contenance, tira l’épée d’une fierté imprévue, leur parla en leur langue d’un ton qui les faifit, & les menaça de les percer fur l’heure, s’ils ofoient luy faire infulte. Ce fut en cette rencontre qu’il s’apperçut de l’impreflion que peut faire la hardieffe d’un homme fur une ame baffe ; je dis une hardieffe qui s’élève beaucoup au-deffus des forces & du pouvoir dans l’éxécution ; une hardieffe qui, en d’autres occafions, pourroit paffer » pour une pure rodomontade ". Celle qu’il fit paroitre pour lors eut un effet merveilleux fur l’efprit de ces miférables. L’épouvante qu’ils en eurent fut fuivie d’un étourdiffement qui les empécha de confidêrer leur avantage, & ils le conduifirent aufTi paifiblement qu’il pût fouhaiter. »

(A. Baillet, Vie de Monfieur Des-Cartes, livre II, chap. iv, t. I, p. 102-103.)

a. Voir t. VI de cette édition, p. 9, 1. 25-26. — Voir aussi p. i58 ci-avant, 1. 5-1 3, et p. i52, 1. 3-4.