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(II)

« Dans la nouvelle ardeur de ſes réſolutions, il (M. Deſcartes) entreprit d’éxécuter la prémière partie de ſes deſſeins, qui ne conſiſtoit qu’à détruire. C’étoit aſſurément la plus facile des deux. Mais il s’apperçut bien tôt qu’il n’eſt pas auſſi aiſé à un homme de ſe défaire de ſes préjugez, que de brûler ſa maiſon. Il s’étoit déjà préparé à ce renoncement dés le ſortir du collége : il en avoit fait quelques eſſais, prémiérement durant ſa retraitte du fauxbourg S. Germain à Paris[1], & enſuite durant ſon ſéjour de Breda[2]. Avec toutes ces diſpoſitions, il n’eut pas moins à ſouffrir, que s’il eût été queſtion de ſe dépouiller de ſoy-même. Il crût pourtant en être venu à bout. Et à dire vrai, c’étoit aſſez que ſon imagination lui préſentât ſon eſprit tout nud, pour lui faire croire qu’il l’avoit mis effectivement en cét état. Il ne lui reſtoit que l’amour de la Vérité, dont la pourſuitte devoit faire d’orénavant toute l’occupation de ſa vie. Ce fut la matiére unique des tourmens qu’il fit ſouffrir à ſon eſprit pour lors. Mais les

  1. Allusion à une longue retraite de deux années (nov. ou déc. 1614 jusqu’à déc. 1616) que Descartes aurait faite, pour étudier loin de toute compagnie, dans une maison écartée du faubourg Saint-Germain à Paris. Baillet raconte la chose sur la foi d’une « Relation MS. de M. Porlier », qu’il cite à deux reprises, dans sa Vie de Monſieur Des-Cartes, t. I, p. 38 et p. 39. Mais Porlier, neveu de Chanut, ne pouvait savoir cela que par ouï-dire, n’étant pas encore né lui-même en 1616, et n’ayant connu Descartes qu’assez tard : ce fut seulement lorsqu’il accompagna son oncle en Suède en 1645, et passa par la Hollande au commencement d’octobre. La tradition n’est donc pas très sûre, d’autant plus que nous savons, par des documents d’archives (registres de baptêmes, et de grades universitaires) que Descartes se trouva à Poitiers au moins aux dates du 21 mai et des 9 et 10 novembre 1616.
  2. On a vu que Descartes quitta la Hollande le 29 avril 1619 (ci-avant p. 165, l. 24). Il était à Bréda, le 10 novembre 1618 (ibid., p. 46). Depuis combien de temps ? On ne saurait dire. Le 3 déc. 1617, il se trouvait encore chez son père, à Chavagne en Sucé, près de Nantes, comme en fait foi sa signature à un acte de baptême. Au reste, ce qu’on a vu de lui pendant son séjour à Bréda, ne le montre nullement en proie aux tourments intellectuels, dont parle Baillet. Tout ce premier paragraphe, qui ne se réfère d’ailleurs à aucun document, n’est qu’une entrée en matière du biographe, comme il le fait trop souvent, sous sa seule responsabilité.