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ceſſé de penſer, encore que tout le reſte de ce que i’auois iamais imaginé, euſt eſté vray, ie n’auois aucune raiſon de croire que i’euſſe eſté : ie connû de la que i’eſtois vne ſubſtance dont toute l’eſſence ou la nature n’eſt que de penſer, & qui, pour eſtre, n’a beſoin d’aucun lieu, ny ne depend d’aucune choſe materielle. En ſorte que ce Moy, c’eſt a dire, l’Ame par laquelle ie ſuis ce que ie ſuis, eſt entierement diſtincte du cors, & meſme qu’elle eſt plus aiſée a connoiſtre que luy, & qu’encore qu’il ne fuſt point, elle ne lairroit pas d’eſtre tout ce qu’elle eſt.

Aprés cela, ie conſideray en general ce qui eſt requis a vne propoſition pour eſtre vraye & certaine ; car, puiſque ie venois d’en trouuer vne que ie ſçauois eſtre telle, ie penſay que ie deuois auſſy ſçauoir en quoy conſiſte cete certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en cecy : ie penſe, donc ie ſuis, qui m’aſſure que ie dis la verité, ſinon que ie voy tres clairement que, pour penſer, il faut eſtre : ie iugay que ie pouuois prendre pour reigle generale, que les choſes que nous conceuons fort clairement & fort diſtinctement, ſont toutes vrayes ; mais qu’il y a ſeulement quelque difficulté a bien remarquer quelles ſont celles que nous conceuons diſtinctement.

En ſuite de quoy, faiſant reflexion ſur ce que ie doutois, & que, par conſequent, mon eſtre n’eſtoit pas tout parfait, car ie voyois clairement que c’eſtoit vne plus grande perfection de connoiſtre que de douter, ie m’auiſay de chercher d’où i’auois appris a penſer a quelque choſe de plus parfait que ie n’eſtois ; & ie connu euidenment que ce deuoit eſtre