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diroit que c’eſt plutoſt la fortune, que la volonté de quelques hommes vſans de raiſon, qui les a ainſi diſpoſez. Et ſi on conſidere qu’il y a eu neanmoins de tout tems quelques officiers, qui ont eu charge de prendre garde aux baſtimens des particuliers, pour les faire ſeruir a l’ornement du public, on connoiſtra bien qu’il eſt malayſé, en ne trauaillant que ſur les ouurages d’autruy, de faire des choſes fort accomplies. Ainſi ie m’imaginay que les peuples qui, ayant eſté autrefois demi ſauuages, & ne s’eſtant ciuiliſez que peu a peu, n’ont fait leurs loix qu’a meſure que l’incommodité des crimes & des querelles les y a contrains, ne ſçauroient eſtre ſi bien policez que ceux qui, dés le commencement qu’ils ſe ſont aſſemblez, ont obſerué les conſtitutions de quelque prudent Legiſlateur. Comme il eſt bien certain que l’eſtat de la vraye Religion, dont Dieu ſeul a fait les ordonnances, doit eſtre incomparablement mieux réglé que tous les autres. Et pour parler des choſes humaines, ie croy que, ſi Sparte a eſté autrefois tres floriſſante, ce n’a pas eſté a cauſe de la bonté de chaſcune de ſes loix en particulier, vû que pluſieurs eſtoient fort eſtranges, & meſme contraires aux bonnes meurs, mais a cauſe que, n’ayant eſté inuentées que par vn ſeul, elles tendoient toutes a meſme fin. Et ainſi ie penſay que les ſciences des liures, au moins celles dont les raiſons ne ſont que probables, & qui n’ont aucunes demonſtrations, s’eſtant compoſées & groſſies peu a peu des opinions de pluſieurs diuerſes perſonnes, ne ſont point ſi approchantes de la verité, que les ſimples raiſonnemens que peut faire naturellement vn homme