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49^ Correspondance.

» Reçoit avidement sa solide doctrine,

» Ecoute avec transport le système nouveau,

» S'en sert heureusement de guide et de flambeau,

» Et pour avoir le temps de l'écouter encore,

» Retranche son sommeil et devance l'Aurore.

» Enfin par des sentiers inconnus jusqu'alors

» Elle voit la Nature et connoist ses ressorts.

» On dit qu'en ce moment la Nature étonnée,

» Se sentant découvrir, en parut indignée.

» Téméraire mortel, esprit audacieux,

» Apprens qu'impunément on ne voit point les Dieux.

» Telle que dans un bain, belle et fiere Diane,

» Vous parustes aux yeux d'un trop hardi profane,

» Quand cet heureux tesmoin de vos divins appas

» Paya ce beau moment par un affreux trépas ;

» Telle aux yeux de René se voyant découverte,

» La Nature s'irrite et conjure sa perte,

» Et d'un torrent d'humeurs qu'elle porte au cerveau

» Accable ce grand homme et le met au tombeau.

» Si l'on ne veut pas recevoir une cause si poétique de la mort de Mon- » sieur Descartes, en voicy une autre meilleure pour la prose et qui est » plus vraysemblable. L'heure et le lieu que la Reyne luy avoit donné » pour l'entendre, estoit à cinq heures du matin dans sa Bibliothèque : 11 c'est à dire en Suéde, dans le fond de l'hiver, cinq ou six heures avant B le Jour ; temps tout ensemble fort honorable et fort incommode pour )i le Philosophe, né, comme il le disoit luy-mesme, dans les jardins de 11 Touraine. 11 y avoit un mois que cela continuoit, quand il se trouva » saisi d'une grande inflammation de poulmon, et d'une violente fièvre » qui occupoit le cerveau par intervalle. Il demeuroit chez Monsieur » Chanut, alors Ambassadeur de France : ils s'appelloient frères, et il » y avoit effectivement entr'eux une amitié ancienne, sincère et frater- 11 nelle. M. Chanut accourut à la chambre de son ami avec les Médecins » de la Rcync. Ils ne désespérèrent pas de le guérir; mais le malade jugea 1) qu'il estoit frappé à la mort. Cette pensée ne l'étonna point; au con- « traire, il se disposa à ce grand passage avec un recueillement d'esprit » fort paisible. Le matin il sentit de grandes douleurs; mais pendant plus 11 d'une heure il n'en interrompit pas son silence ; à la fin on l'entendit » soupirer ci se plaindre. Quand cela eut duré quelque-temps, M. Cha- 11 nut, qui avoit passé la ruit avec luy, jugea à propos de l'interrompre 11 pour détourner lame du malade de la pensée de ses douleurs ; il s'ap- » procha de lui, et d'une voix basse et douce luy dit :

1) Quoy 1 toujours des cris et des plaintes, n Un peu de mal vous surprend-il ?

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