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DLXXXVI. — 10 Février 1650. 495

» Les langues d'Orient, et mortes et vivantes,

» Celles de l'Occident, vulgaires et sçavantes,

I) Estoient dans sa mémoire avec ce qu'elles ont

» De sçavant, de poli, de rare et de profond.

» Mais, quand sur la Physique elle fut parvenue,

» Jusqu'où n'arriva point sa pénétrante veue ?

» Toutefois deux esctieils dans cette vaste mer

» Virent ce grand génie en péril d'abismer.

» L'aimant, dont les costez aux deux Pôles répondent,

» Et qui l'esprit humain et la raison confondent ;

» L'un semble aimer le fer, et l'autre le haïr:

» Si l'un sçait l'attirer, l'autre le fait fuir.

» La mer, dont elle voit tantost le sable aride,

» Et tantost inondé par l'élément liquide ;

» Ce réglé changement, escûeil de la raison,

» Indépendant des temps, des vents, de la saison,

» De Christine épuisoit le merveilleux génie.

» Tout ce qu'en tous les temps dit la Philosophie,

» Aristote, Platon, Démocrite, Gassend,

» Offrent à cette Reyne un secours impuissant ;

)* Elle en connoist le foible, et sa recherche vaine

» Augmente son ardeur et redouble sa peine.

» Quel sort pour ce grand cœur, dans son espoir trompé,

» Du désir de sçavoir sans relasche occupé ?

» Un jour, l'esprit rempli de ce dépit funeste,

» Elle crut voir paroistre une femme ihodeste,

» D'un air sombre et resveur, et d'un teint décharné;

» Puis elle entend ces mots : — Voy l'illustre René,

» Seul entre les mortels il peut finir ta peine.

» Conceu chez les Bretons, il naquit en Touraine ;

» Aujourd'hui, prés d'Egmcnt, et le jour et la nuit,

1) Il médite avec moy loin du monde et du bruit

» Entends-le, c'est l'ami de la Philosophie !

» — Elle dit et s'envole, et Christine ravie,

» Avide de sçavoir, ne croit pas que jamais

» Elle puisse assez tost le voir en son Palais.

» Cependant, enchanté du plaisir de l'étude,

y .'ouïssant de luy-mesme et de la solitude,

» Le. Sage en ce repos voudroit bien persister ;

u Mais aux loix d'une Reyne il ne peut résister.

» Tu quilles pour jamais ta charmante retraite,

» Grand-homme, ainsi le veut du Ciel la voix secrette.

« Pour instruire une Reyne, il s'avance à grands pas,

» Croit aller à la gloire et court à son trépas.

» Il arrive, et déjà l'aitentive Christine

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