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��Correspondance.

��» venir à Stocholm auprès d'elle. Là, cette Princesse incomparable, que » les soins de son Etat tenoient tout le iour continuellement ocupée, ne » pouuant prendre pour diuertissement de ses études que le temps qu'elle » déroboit à son repos, ordonna à Monsieur Descartes de la venir entre- » tenir tous les iours à cinq heures du matin dans sa Bibliothèque. Ces » conférences ayant déjà duré plus d'vn mois, "Monsieur Descartes, soit » que cela vinst du changement de régime, ou de la seule aspreté du cli- » mat et de la saison (car c'estoit au milieu de l'hyuer), se trouua tout à » coup surpris d'vne grande inflammation de poumon, jointe à vne grosse » flévre, qui luy attaqua d'abord le cerueau. Quand le mal le prit, il n'y » auoit que deux iours qu'il s'estoit acquitté des deuoirs d'vn bon Chre- » stien ; et dans l'agitation et l'ardeur de sa fièvre, pour montrer que les » saintes pensées qu'il auoit eu lors, estoient encore bien profondement » grauées en son esprit, il n'auoit point de plus fréquente rêverie, que de » s'entretenir de la déliurance prochaine de son ame. C'a, mon ame, di- » soit-il, il y a longtemps que tu es captiue ; voicy l'heure que tu dois » sortir de prison, et quitter l'embaras de ce cors; il faut souffrir cette » des-vnion auec joye et courage. Ceux qui sçauent l'étroite affinité que » i'ay auec ceux chez qui il est mort, ne s'étonneront pas du raport que » ie fais de ces particularitez ; et les ayant aprises de ceux qui y estoient » presens, i'ay crû qu'elles pourroient seruir, sinon à la iustification de » Monsieur Descartes, car il n'en a pas besoin, au moins à détromper » ceux qui auroient pu estre abusez par de faux bruits. Comme la fièvre » commença vn peu, non pas à se calmer, mais à quitter le cerueau, » qu'elle auoit occupé d'abord, on n'eust pas besoin de luy annoncer la » mort : il ditluy-mesme qu'il voyoit bien qu'il fallait partir, et ad jouta, » d'vn courage assuré, qu'il ne luy fallait pas faire vn grand effort pour » s'y résoudre, et que, durant toute la nuit précédente, il s'y estait pre- » paré. Cependant, ny luy ny les assistans ne croyoient pas que le mal » pressast si fort, et l'on fust bien étonné que, la nuit suiuante, on le vit >' tourner entièrement à la mort. On apela pronitement l'Aumosnier de » Monsieur l'Ambassadeur de France, chez qui il demeuroit ; mais à son » arriuée le malade ne parloit dé-ja plus. Ce religieux Aumosnier [le ï P. Viogué, religieux Augustin], qui l'auoit oùy en confession peu de » iours auparauant, et qui sçait que ce que ie dis est véritable, luy faisant » les exhortations ordinaires, le pria, s'il l'entendoit encore, et s'il vou- » loit receuoir de luy la dernière bénédiction, qu'il luy fist quelque signe; ») aussi-tost il leua les yeux au ciel, d'vne façon toute chrestienne, et qui )) montroit vne parfaite résignation à la volonté de Dieu. La bénédiction » donnée, tout le monde estant à genoux, on lut les prières des agonisans » {car, pour le sacrement des malades, le défaut des choses nécessaires ne » permettoit pas qu'on luy pust administrer), et cependant le malade ren- » dit l'esprit, auec vne tranquilité digne de l'innocence de sa vie. Car, en ') effet, on ne vit iamais vn homme plus simple, plus humble, plus sin- » cerc, mais surtout plus humain que luy, iusques à se charger, dans la

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