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vn plus long & plus difficile que celuy de Suede, pour auoir l’honneur de luy offrir tout ce que ie puis contribuer pour ſatisfaire à ſon deſir. Mais l’experience m’a enſeigné que, meſme entre les perſonnes de tres5 bon eſprit, & qui ont vn grand deſir de ſçauoir, il n’y en a que fort peu qui ſe puiſſent donner le loiſir d’entrer en mes penſées, en ſorte que ie n’ay pas ſuiet de l’eſperer d’vne Reine, qui a vne infinité d’autres occupations. L’experience m’a auſſi enſeigné que, bien que 10 mes opinions ſurprennent d’abord, à cauſe qu’elles ſont fort différentes des vulgaires, toutesfois, apres qu’on les a compriſes, on les trouue ſi ſimples, & ſi conformes au ſens commun, qu’on ceſſe entierement de les admirer & par meſme moyen d’en faire cas, à 15 cauſe que le naturel des hommes eſt tel, qu’ils n’eſtiment que les choſes qui leur laiſſent de l’admiration & qu’ils ne poſſedent pas tout à fait. Ainſi, encore que la ſanté ſoit le plus grand de tous ceux de nos biens qui concernent le corps, c’eſt toutesfois celuy auquel 20 nous faiſons le moins de reflexion & que nous gouſtons le moins. La connoiſſance de la verité eſt comme la ſanté de l’ame : lors qu’on la poſſede, on n’y penſe plus. Et bien que ie ne deſire rien tant que de communiquer ouuertement & gratuitement à vn chacun tout 25 le peu que ie penſe fçauoir, ie ne rencontre preſque perſonne qui le daigne apprendre. Mais ie voy que ceux qui ſe vantent d’àuoir des ſecrets, par exemple en la Chymie ou en l’Aſtrologie iudiciaire, ne manquent iamais, tant ignorans & impertinens qu’ils 30 puiſſent eſtre, de trouuer des curieux, qui achettent bien cher leurs impoſtures.