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86-87. Méditations. — Sixième. 69

le remarque auflî que l'efprit ne reçoit pas immédiatement l'im- preflion de toutes les parties du corps, mais feulement du cerueau, ou peut-eftre mefme d'vne de fes plus petites parttes, à fçauoir de celle où s'exerce cette faculté qu'ils appellent le fens commun, la- quelle, toutes les fois qu'elle eft difpofée de mefme façon, fait fentir la mefme chofe à l'efprit, quoy que cependant les autres parties du corps puiffent eftre diuerfement difpofées, comme le témoignent vne infinité d'expériences, iefquelles il n'eft pas icy befoin de rap- porter.

le remarque, outre cela, que la nature du corps eft telle, qu'au- cune de fes parties ne peut eftre meuë par vne autre partie vn peu efloignée, qu'elle ne le puilîe eftre aufli de la mefme forte par cha- cune des parties qui font entre deux, quoy que cette partie | plus i09 efloignée n'agiffe point. Comme, par exemple, dans la corde ABCD qui eft toute tendue, fi | l'on vient à tirer & remuer la dernière partie D, la première A ne fera pas remuée d'vne autre façon, qu'on la pouroit aufti faire mouuoir, fi on tiroit vne des parties moyennes, B ou C, & que la dernière D demeuraft cependant immobile. Et en mefme façon, quand ie reffens de la douleur au pied, la Phy- fique m'apprend que ce fentiment fe communique par le moyen des nerfs difperfez dans le pied, qui fe trouuant étendus comme des cordes depuis là iufqu'au cerueau, lorfqu'ils font tirez dans le pied, tirent auflî en mefme temps l'endroit du cerueau d'où ils viennent & auquel ils aboutiffent, & y excitent vn certain mouue- ment, que la nature a inftitué pour faire fentir de la douleur à l'ef- prit, comme fi cette douleur eftoit dans le pied. Mais parce que ces nerfs doiuent paffer par la iambe, par la cuiffe, par les reins, par le dos & par le col, pour s'eftendre depuis le pied iufqu'au cerueau, il peut arriuer qu'encore bien que leurs extremitez qui font dans le pied ne foient point remuées, mais feulement quelques vnes de leurs parties qui pafl"ent par les reins ou par le col, cela neantmoins excite les mefmes mouuemens dans le cerueau, qui pouroient y eftre excitez par vne bleffure receuë dans le pied, en fuitte de quoy il fera necefl"aire que l'efprit reffente dans le pied la mefme douleur que s'il y auoit receu vne blefl"ure. Et il faut iuger le femblable de toutes les autres perceptions de nos fens,

I Enfin ie remarque que, puifque de tous les mouuemens qui fe llO font dans la partie du cerueau dont l'efprit reçoit immédiatement l'imprelfion, chacun ne caufe qu'vn certain fentiment, on ne peut rien en cela fouhaitter ny imaginer de mieux, finon que ce mouue- ment face reffentir à l'efprit, entre tous les fentimens qu'il eft

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