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84-83. Méditations. — Sixième. d-j

à defirer le poifon, lequel luy eil: inconnu ; de façon que ie ne puis conclure de cecy autre chofe, finon que ma nature ne connoift pas entièrement & vniuerfellement toutes chofes: de quoy certes il n'y a pas lieu de s'eftonner, puifque l'homme, eftant d'vne nature finie, ne peut aufli auoir qu'vne connoiffance d'vne perfection limitée.

Mais nous nous trompons auifi affez fouuent, mefme dans les chofes aufquelles nous fommes directement portez par la nature, comme il arriuc aux malades, lorfqu'ils défirent de boire ou de manger des chofes qui leur peuuent nuire. On dira peut-eftre icy que ce qui efl caufe qu'ils fe trompent, eft que leur nature efi cor- rompue; mais cela n'ofle pas la difficulté, parce qu'vn homme malade n'eft pas moins véritablement la créature de Dieu, qu'vn homme qui efl: en pleine fanté ; & partant il répugne autant à la bonté de Dieu, qu'il ait vne nature trompeufe & fautiue, que l'autre. Et comme vne horloge, compofée de roiies & de contrepoids, n'ob- ferue pas moins exactement toutes les loix de la nature, lorfqu'elle eft mal faite, & qu'elle ne montre pas bien les heures, que lorf- qu'elle fatisfait entièrement au defir de l'ouurier ; de mefme aufïï, fi ie confidere le corps de l'homme comme citant vne machine telle- ment baftie & compofée d'os, de nerfs, de mufcles, | de veines, de io6 fang & de peau, qu'encore bien qu'il n'y eult en luy aucun efprit, il ne lairroit pas de fe mouuoir en toutes les ihefmes façons qu'il fait à prefent, lorfqu'il ne fe meut point par la direction de fa vo- lonté, ny par confequent par l'aide de l'efprit, mais feulement par la difpofition de fes organes, ie reconnois facilement qu'il feroit auiïi naturel à ce corps, eftant, par exemple, hydropique, de fouffrir la fecherelïe du gozier, qui a coultume de fignifier à l'efprit le fenti- ment de la foif, & d'eftre difpofé par cette fechereife à mouuoir (es nerfs & les autres parties, en la façon qui eft requife pour boire, & ainfi d'augmenter fon mal & fe nuire à foy-mefme, qu'il luy eft na- turel, lorfqu'il n'a aucune indifpofition, | d'eftre porté à boire pour fon vtilité par vne femblable fechereffe de gozier. Et quoy que, re- gardant à l'vfage auquel l'horloge a efté deftinée par fon ouurier, ie puifle dire qu'elle fe détourne de fa nature, lorfqu'elle ne marque pas bien les heures ; & qu'en mefme façon, confiderant la machine du corps humain comme ayant efté formée de Dieu pour auoir en foy tous les mouuemens qui ont couftume d'y eftre, i'aye fujet de penfcr qu'elle ne fuit pas l'ordre de fa nature, quand fon gozier eit fec, (!s: que le boire nuit à fa conferuation ; ie reconnois toutesfois que cette dernière façon d'expliquer la nature eft beaucoup diffé- rente de l'autre. Car celle-cy n'eft autre choie qu'vne fimple deno-

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